Planneur Romantique #64

La possibilité d'un PPT : Proust, Marcel. Sodome Et Gomorrhe

La possibilité d'un PPT
6 min ⋅ 06/01/2025

C’est quoi l’idée ?

Celui qui lit, aura vécu 5000 ans ; la lecture est une immortalité en sens inverse ; la littérature et la vie c’est pareil. Le métier de planneur stratégique en agence de publicité consiste à connaître les gens ; à vivre d’autres vies que la sienne.

Je suis payé pour vendre des idées, souvent celles des autres, la forme étant le fond qui remonte à la surface elles doivent être bien troussées et présentées non pas comme une découverte mais comme la redécouverte de celles d’illustres individus avant nous.

Rien n’est de moi dans les lignes précédentes, lire sert à ça, à copier et à coller.
Avant, il faut collecter et c’est ce que je fais, chaque lundi à 13h45 dans cette newsletter ; pour mieux les retrouver au besoin.


Père ManQ, raconte-nous une histoire.

Sans surprise, le sujet ici est l’homosexualité : l’esprit est moins Pride que Prejudice.
Rappelez-vous, en ce temps là, les marques n’arborent pas encore de versions arc-en-ciel de leurs logos sur Instagram.

Je passe du coq à l’âne (comme dans une partouze à la ferme), mais si l’affaire Dreyfus est un thème important chez Proust, j’ignorais qu’il se considérait comme “le premier dreyfusard” et qu’il fut à la manœuvre avec Zola pour tenter de l’innocenter. J’ai découvert cela dans l’excellent podcast Alfred Dreyfus, le combat de la République du Brestois et écrivain Philippe Colin (auteur de Le barman du Ritz, vendu à 200 000 exemplaires).

Comme tout planneur stratégique, vous êtes un peu snob, vous connaissez certainement Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée de Daniel Kahneman. Sinon, je vous ai trouvé un résumé sur YouTube.

Tout ce que ce Prix Nobel a démontré scientifiquement est déjà esquissé ici par intuition.

Quelquefois l’avenir habite en nous sans que nous le sachions, et nos paroles qui croient mentir dessinent une réalité prochaine.

(Car si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première, dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements.)

nous ne connaissons vraiment que ce que nous sommes obligés de recréer par la pensée, ce que nous cache la vie de tous les jours…

Toujours planneur snob, vous avez aussi lu Le Cygne Noir de Nassim Taleb.
Vous vous souvenez donc de l’histoire de la dinde inductiviste de Bertrand Russell qui y est mentionnée.

Eh bien, je viens de me rendre compte que cette théorie philosophique, qui a rendu célèbre son auteur pour l’éternité, y est également énoncée.

Ainsi M. de Charlus vivait dupé comme le poisson qui croit que l’eau où il nage s’étend au delà du verre de son aquarium qui lui en présente le reflet, tandis qu’il ne voit pas à côté de lui, dans l’ombre, le promeneur amusé qui suit ses ébats ou le pisciculteur tout-puissant qui, au moment imprévu et fatal, différé en ce moment à l’égard du baron (pour qui le pisciculteur, à Paris, sera Mme Verdurin), le tirera sans pitié du milieu où il aimait vivre pour le rejeter dans un autre.

On y parle aussi beaucoup et joliment du rapport à l’innovation ; le train, l’avion, je vous laisse découvrir ça dans la version réservée aux abonnés ci-dessous (objectif 2025 : 5000 abonnés).

On en finit avec un insight que ceux qui ont déjà pris le train connaissent bien :

Il y a pourtant quelque chose qui est capable d’un pouvoir d’exaspérer où n’atteindra jamais une personne: c’est un piano.

Bonne année.





Citations et idées remarquables.

C’est la raison qui ouvre les yeux; une erreur dissipée nous donne un sens de plus.

Quelquefois l’avenir habite en nous sans que nous le sachions, et nos paroles qui croient mentir dessinent une réalité prochaine.

Les erreurs des médecins sont innombrables. Ils pêchent d’habitude par optimisme quant au régime, par pessimisme quant au dénouement.

Les fêtes de ce genre sont en général anticipées. Elles n’ont guère de réalité que le lendemain, où elles occupent l’attention des personnes qui n’ont pas été invitées.

Dans ce grand «cache-cache» qui se joue dans la mémoire quand on veut retrouver un nom, il n’y a pas une série d’approximations graduées. On ne voit rien, puis tout d’un coup apparaît le nom exact et fort différent de ce qu’on croyait deviner.

S’il y a des transitions entre l’oubli et le souvenir, alors ces transitions sont inconscientes.

les défauts d’une simple connaissance, et même d’un ami, sont pour nous de vrais poisons, contre lesquels nous sommes heureusement «mithridatés».

Les gens du monde se représentent volontiers les livres comme une espèce de cube dont une face est enlevée, si bien que l’auteur se dépêche de «faire entrer» dedans les personnes qu’il rencontre.

Je me dis tout d’un coup: «Oh! mon Dieu, on a crevé ma fosse d’aisances», c’est simplement la marquise qui, dans quelque but d’invitation, vient d’ouvrir la bouche.

les gens qui rient si fort de ce qu’ils disent, et qui n’est pas drôle, nous dispensent par là, en prenant à leur charge l’hilarité, d’y participer.

Ainsi les hommes peuvent avoir plusieurs sortes de plaisirs. Le véritable est celui pour lequel ils quittent l’autre.

Ses moindres paroles m’exaspéraient. Dans l’attente, on souffre tant de l’absence de ce qu’on désire qu’on ne peut supporter une autre présence.

Les progrès de la civilisation permettent à chacun de manifester des qualités insoupçonnées ou de nouveaux vices qui les rendent plus chers ou plus insupportables à leurs amis.

(Car si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première, dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements.)

C’est sans doute l’existence de notre corps, semblable pour nous à un vase où notre spiritualité serait enclose, qui nous induit à supposer que tous nos biens intérieurs, nos joies passées, toutes nos douleurs sont perpétuellement en notre possession.

nous ne connaissons vraiment que ce que nous sommes obligés de recréer par la pensée, ce que nous cache la vie de tous les jours…

Il y a pourtant quelque chose qui est capable d’un pouvoir d’exaspérer où n’atteindra jamais une personne: c’est un piano.

On ne peut pas dire qu’elle fût bête; elle débordait d’une intelligence que je sentais m’être entièrement inutile.

elle se représentait non seulement que la musique progresse, mais sur une seule ligne, et que Debussy était en quelque sorte un sur-Wagner, encore un peu plus avancé que Wagner.

Depuis qu’il existe des chemins de fer, la nécessité de ne pas manquer le train nous a appris à tenir compte des minutes, alors que chez les anciens Romains, dont l’astronomie n’était pas seulement plus sommaire mais aussi la vie moins pressée, la notion, non pas de minutes, mais même d’heures fixes, existait à peine.

Pour le contemplateur désintéressé, il y a cela d’assez beau, dans ces ressemblances parfaites de deux jumeaux, que la nature, comme si elle s’était momentanément industrialisée, semble débiter des produits pareils.

On rêve beaucoup du paradis, ou plutôt de nombreux paradis successifs, mais ce sont tous, bien avant qu’on ne meure, des paradis perdus, et où l’on se sentirait perdu.

Elstir, qui avait une fois rencontré Ski, eût pour lui la répulsion profonde que nous inspirent, plus encore que les êtres tout à fait opposés à nous, ceux qui nous ressemblent en moins bien, en qui s’étale ce que nous avons de moins bon, les défauts dont nous nous sommes guéris, nous rappelant fâcheusement ce que nous avons pu paraître à certains avant que nous fussions devenus ce que nous sommes.

Un philosophe qui n’était pas assez moderne pour elle, Leibnitz, a dit que le trajet est long de l’intelligence au coeur.

Le voyage s’est bien passé? — Nous n’avons rencontré que de vagues humanités qui remplissaient le train.

cette mélancolie qu’il y a quand on cesse d’obéir à des ordres qui, au jour le jour, vous cachent l’avenir, de se rendre, compte qu’on a enfin commencé de vivre pour de bon, comme une grande personne, la vie, la seule vie qui soit à la disposition de chacun de nous.

apprendre qu’il existe peut-être un univers où 2 et 2 font 5 et où la ligne droite n’est pas le chemin le plus court d’un point à un autre, eût beaucoup moins étonné Albertine que d’entendre le mécanicien lui dire qu’il était facile d’aller dans une même après-midi à Saint-Jean et à la Raspelière. Douville et Quetteholme, Saint-Mars-le-Vieux et Saint-Mars-le-Vêtu, Gourville et Balbec-le-Vieux, Tourville et Féterne, prisonniers aussi hermétiquement enfermés jusque-là dans la cellule de jours distincts que jadis Méséglise et Guermantes, et sur lesquels les mêmes yeux ne pouvaient se poser dans un seul après-midi,

La conversation d’une femme qu’on aime ressemble à un sol qui recouvre une eau souterraine et dangereuse; on sent à tout moment derrière les mots la présence, le froid pénétrant d’une nappe invisible; on aperçoit çà et là son suintement perfide, mais elle-même reste cachée.

Il ressemblait à un vieux livre du moyen âge, plein d’erreurs, de traditions absurdes, d’obscénités, il était extraordinairement composite.

En quoi les hommes occupés manquent de réflexion. Car la culture désintéressée, qui leur paraît comique passe-temps d’oisifs quand ils la surprennent au moment qu’on la pratique, ils devraient songer que c’est la même qui, dans leur propre métier, met hors de pair des hommes qui ne sont peut-être pas meilleurs magistrats ou administrateurs qu’eux, mais devant l’avancement rapide desquels ils s’inclinent en disant: «Il paraît que c’est un grand lettré, un individu tout à fait distingué.»

dans l’humanité la règle — qui comporte des exceptions naturellement — est que les durs sont des faibles dont on n’a pas voulu,

Mais, tout autant que nous sommes privés de ce sens de l’orientation dont sont doués certains oiseaux, nous manquons du sens de la visibilité, comme nous manquons de celui des distances, nous imaginant toute proche l’attention intéressée des gens qui, au contraire, ne pensent jamais à nous et ne soupçonnant pas que nous sommes, pendant ce temps-là, pour d’autres leur seul souci.

Ainsi M. de Charlus vivait dupé comme le poisson qui croit que l’eau où il nage s’étend au delà du verre de son aquarium qui lui en présente le reflet, tandis qu’il ne voit pas à côté de lui, dans l’ombre, le promeneur amusé qui suit ses ébats ou le pisciculteur tout-puissant qui, au moment imprévu et fatal, différé en ce moment à l’égard du baron (pour qui le pisciculteur, à Paris, sera Mme Verdurin), le tirera sans pitié du milieu où il aimait vivre pour le rejeter dans un autre.

Un joli nom agréable à dire étant la moitié d’une réputation artistique,

On n’aime pas montrer les parents qui sont restés ce que l’on s’est efforcé de cesser d’être.

il y a une chose plus difficile encore que de s’astreindre à un régime, c’est de ne pas l’imposer aux autres.

C’est souvent seulement par manque d’esprit créateur qu’on ne va pas assez loin dans la souffrance.

La possibilité d'un PPT

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Par Emmanuel Quéré