Planneur Romantique #93

La possibilité d'un PPT : Le Zéro et l’Infini - Arthur Koestler

La possibilité d'un PPT
4 min ⋅ 03/11/2025

La possibilité d’un PPT is a place to record the stuff I think that doesn't have an immediate client Powerpoint.



Père ManQ, raconte-nous une histoire.

(renvoi technique, trop de fautes, même pour mes piètres standards)

Le Zéro et l’Infini, d’Arthur Koestler, raconte la descente aux enfers de Roubachof, un vieux révolutionnaire soviétique arrêté et brisé par le système qu’il a contribué à créer. À travers son interrogatoire et sa confession forcée, le roman dénonce les dérives totalitaires et le sacrifice de l’individu au nom d’une idéologie.

Ce livre, publié à Londres en pleine Seconde Guerre mondiale, est important parce qu’il a révélé au monde la folie de l’idéologie communiste stalinienne, l’alliée d’alors. On parle beaucoup en ce moment du concept de post-réalité : on est ici en plein dedans.

Je passe du coq à l’âne, comme dans La Ferme des animaux, et je me permets de digresser. C’est ma newsletter, je fais ce que je veux.

Dans une autre vie, j’ai pratiqué ce qu’on appelle pompeusement de l’ultra-cyclisme : parcourir de grandes distances (de 500 à 4000 km) à vélo, le plus vite possible.

Pratique qui implique notamment une privation de sommeil extrême (au mieux 2 h dans un abribus toutes les 24 h), une alimentation limitée (on n’en est pas à devoir chasser, mais on cueille ce que l’on peut au bord de la route) et une hygiène négligée (on ne s’encombre pas de change).

Le Français Sofiane Sehili est le meilleur de cette discipline — « le Kilian Jornet de l’ultra-cyclisme ».
Parti de Lisbonne début juillet, il comptait traverser 17 pays pour arriver début septembre en Russie, à Vladivostok, et battre un record établi quelques années auparavant. Avant la guerre.

À 200 km de l’arrivée, après 17 000 km, alors qu’il s’apprêtait à battre le record, il se retrouve bloqué à la frontière par des douaniers tatillons. Vu le contexte, on peut les comprendre.

Personne n’a de nouvelles et, globalement, on a tous très peur pour lui.

T’as passé 60 jours à pédaler 280 km par jour sur ton vélo, à bouffer les pires spécialités locales, à penser à toutes les bières de récup que tu vas te taper pour équilibrer ton déficit calorique, et tu te retrouves dans une prison russe sans savoir quand — ou même si — tu vas pouvoir sortir.

Et la semaine dernière, après deux mois de taule et de silence, il est enfin sorti.
Je ne le connais pas personnellement, mais c’est quand même avec un grand soulagement que j’ai accueilli la nouvelle.
Ben oui, c’était pas malin, mais j’ai un profond respect pour ceux qui mettent la passion avant la raison.

Pour revenir au sujet, je voulais extraire cette citation vieille de 90 ans, mais qui résonne pas mal avec tout le bordel autour de l’IA :

Tout progrès technique subit entraîne donc, dans un premier temps, une régression intellectuelle relative des masses, une chute du thermomètre politique de la maturité. Il faut parfois des décennies, parfois plusieurs générations, pour que le niveau de conscience d’un peuple puisse s’adapter progressivement au nouvel état de choses et atteigne de nouveau ce niveau de capacité de se gouverner lui-même qu’il détenait déjà à un niveau inférieur de la civilisation.

Nous avons cru que l’adaptation à la nouvelle réalité de l’image que les masses se font du monde était un processus simple, dont nous mesurons la durée en années ; alors que, selon toutes les expériences de l’histoire, les siècles seraient un ordre de grandeur plus adapté. Les peuples européens sont encore très loin d’avoir digéré intellectuellement les conséquences de l’invention de la machine à vapeur.

Citations et idées remarquables.

La définition de l’individu était la suivante : une masse de un million divisée par un million.

Un jour, un mathématicien m’a dit que l’algèbre était la science des fainéants – on ne calcule pas l’epsilon, mais on opère comme si on le connaissait. L’epsilon, dans notre cas, ce sont les masses anonymes, le peuple. Faire de la politique, c’est opérer avec cet epsilon sans se préoccuper de ses propriétés. Faire de l’histoire, c’est comprendre ce qu’il représente dans l’équation.

« Quand l’existence de l’Église est menacée, elle-même est dispensée des lois de la morale. Le but de l’unité sanctifie n’importe quel moyen : ruse, tromperie, violence, corruption, enfermement, mort. Car tout ordre est là pour servir la collectivité et l’individu doit céder le pas au bien commun. » DIETRICH VON NIEHEIM,« Des manières d’unifier et de réformer l’Église lors d’un concile général », A. D. 1411.

Au cours des pauses que prend l’histoire pour retrouver son souffle, la politique peut être « fair » ; mais lors de ses tournants critiques, il n’y a pas d’autre norme que ce vieux principe : la fin justifie les moyens.

les règles du fair-play permettent de jouer au tennis, mais pas de faire l’histoire.

Pour nous, la question de la bonne foi subjective n’a jamais présenté d’intérêt. Celui qui a tort au bout du compte doit payer ; à celui qui a raison, on accordera l’indulgence. C’est la loi du crédit historique ; c’était la nôtre.

D’une manière générale, on ne pouvait pas exprimer ce qu’on était.

La majorité des grands révolutionnaires s’est laissé entraîner par cette tentation, de Spartacus à Dostoïevski en passant par Danton ; c’est la forme classique de la trahison de la cause. Les tentations proposées par Dieu ont toujours été plus dangereuses pour l’humanité que celles de Satan. Tant que le chaos domine le monde, Dieu est un anachronisme et tout compromis avec notre propre conscience est une perfidie. Quand la maudite voix intérieure se met à parler en toi, bouche-toi les oreilles… »

« Objectivement, poursuivit Ivanov, les plus grands criminels de l’histoire ne sont pas du type de Néron ou Fouché, mais de Gandhi et Tolstoï. La voix intérieure de Gandhi a plus fait pour entraver la libération de l’Inde que les canons britanniques. Se vendre trente deniers, c’est une affaire honnête ; quand on se vend à sa propre conscience et à sa voix intérieure, c’est qu’on désespère de l’humanité. L’histoire est immorale a priori ; l’histoire n’a pas de conscience. Vouloir la guider conformément aux maximes des prêches dominicaux, ça revient à tout laisser en l’état et à mettre des bâtons dans les roues du progrès.

Depuis qu’il existe des nations et des classes, elles vivent dans une situation de légitime défense mutuelle qui les force à reporter constamment “à plus tard” la réalisation finale de l’humanisme… »

Chaque année, les crues du fleuve Jaune, en Chine, font des centaines de milliers de victimes, parfois même un million. La nature est généreuse, pour ce qui concerne ses expérimentations absurdes sur l’être humain ; et l’homme n’aurait pas le droit de mener des expériences sensées sur lui-même ? »

Tout progrès technique subit entraîne donc dans un premier temps une régression intellectuelle relative des masses, une chute du thermomètre politique de la maturité. Il faut parfois des décennies, parfois plusieurs générations pour que le niveau de conscience d’un peuple puisse s’adapter progressivement au nouvel état de choses et atteigne de nouveau ce niveau de capacité de se gouverner lui-même qu’il détenait déjà à un niveau inférieur de la civilisation.

La maturité politique des masses ne peut donc pas être mesurée en chiffres absolus, mais uniquement et toujours relatifs : dans sa relation avec chaque niveau d’évolution de la civilisation.

Nous avons cru que l’adaptation à la nouvelle réalité de l’image que les masses se font du monde était un processus simple dont nous mesurons la durée en année ; alors que selon toutes les expériences de l’histoire, les siècles seraient un ordre de grandeur plus adapté. Les peuples européens sont encore très loin d’avoir digéré intellectuellement les conséquences de l’invention de la machine à vapeur.

La possibilité d'un PPT

La possibilité d'un PPT

Par Emmanuel Quéré