La possibilité d'un PPT : Kolkhoze - Emmanuel Carrère
Père ManQ, raconte-nous une histoire.
Emmanuel Carrère, mon presque homonyme et mon frère d’âme.
Pourquoi tout Carrère c’est bien ?
Parce que quand la vie est supérieure à la littérature pourquoi la littérature ?
Parce que son honnêteté brutale est toujours agréable à entendre.
Parce que son style est d’une limpidité inouï (c’est comme ça qu’il faut écrire).
Il faut tout lire de Carrère.
Avant de rentrer dans le détails des choses intéressantes et remarquables, un petit extrait que j’ai avec l’orgueil de celui qui se trouve smart appelé Guerre & Présent.
J'ai rencontré à Kyiv un type qui était une sorte de guru du développement personnel et, à ce titre, répétait autrefois le sempiternel mantra : il faut vivre dans le présent, ne se soucier ni du passé qui n'existe plus ni de l'avenir qui n'existera peut-être jamais : le présent, seulement le présent, c'est la clé de la sagesse. « Eh bien tu vois, m'a dit le guru avec une lucidité cruelle : c'est exactement ça, la guerre. Tu rêverais qu'il y ait encore un passé, un avenir, mais il n'y a plus de passé, plus d'avenir, nulle part où se réfugier, en fait tu n'as plus le choix. Plus d'autre option que de vivre dans le présent. Et ce que j'ai découvert, c'est que vivre dans le présent, c'est atroce. »
Citations et idées remarquables.
Arrive, enfin, Emmanuel Macron. Seul, par la droite, vêtu d'un petit manteau cintré dans lequel il me semble que j'aurais très froid mais lui n'a jamais froid ni chaud, j'ai pu observer sa thermorégulation, très particulière, quand j'ai fait un portrait de lui pour le Guardian, au début de son premier mandat. Je l'avais suivi à Saint-Martin, territoire d'outre-mer que venait de dévaster un cyclone. Il faisait si chaud et humide qu'à peine descendus de l'avion nous étions tous ruisselants de sueur, des auréoles jusqu'à la ceinture. Tous, sauf Macron. Nous ne l'avons pas quitté huit heures durant, à aucun moment il n'a pu s'éclipser pour changer de chemise et à la fin de la journée, alors que nous étions à tordre, lui était aussi frais qu'au début. C'était la première phrase de mon reportage : « Cet homme ne transpire pas », et ma mère, quand je le lui ai raconté, l'a porté à son crédit: un homme bien élevé, ça ne transpire pas.
Les livres, les films, les récits qui me touchent le plus sont ceux qui montrent en même temps les dimensions horizontale et verticale de la vie. Horizontale : l'amour, l'amitié, les alliances qu'on noue en faisant la traversée dans les mêmes eaux, dans le même temps. Verticale : les relations entre les générations. Parents et enfants, aieux et descendants, qui ont habité des mondes différents, partagé d'autres récits collectifs, d'autres valeurs, d'autres évidences - ce qui allait de soi, disons pour nos grands-parents, nous étant devenu non seulement étranger mais souvent scandaleux.
Alors qu'ils n'étaient qu'un petit groupe, farouchement ennemis de la démocratie, les fidèles de Lénine se sont autoproclamés bolcheviks, qui veut dire majoritaires. Et les sociaux-démocrates comme Vano, grâce à qui la Russie aurait pu évoluer vers une société acceptable, ils les ont désignés comme mencheviks, minoritaires, alors qu'ils étaient beaucoup plus nombreux.
C'est une constante de la pensée soviétique, m'expliquait Montefiore, c'est peut-être même le cœur du logiciel soviétique, depuis sa naissance, de nommer les choses au rebours exact de leur réalité et de faire vivre les gens dans un univers de mensonge sans limite ni repère, d'inversion généralisée. Le plus devient le moins, le moins devient le plus, la misère l'opulence, le goulag la liberté.
Ce qu'un des premiers compagnons de Lénine, Piatakov, ramassait dans cette formule éclatante - et, selon Montefiore, absolument dépourvue d’ironie : « Un bolchevik, si le Parti lui dit que le blanc est noir et que le noir est blanc, ne doit pas croire ce qu'il voit mais ce que le Parti lui dit de voir.»
Cette tragédie n'a pas empêché Nabokov fils de vivre à Berlin, avec sa femme Véra et leur petit garçon, des années enchantées - mais l'enchantement était son mode d'être.
Nabokov était une sorte d'extraterrestre, on se dit parfois, en le lisant, qu'il était à l'Homo sapiens ce que celui-ci était au Cro-Magnon : un être plus avancé sur l'échelle de l'évolution, doué au plus haut degré de facultés restées chez la plupart de ses congénères à un stade grossier et balbutiant.
Cet optimisme et cette capacité d'adaptation, qui seront des traits constants de ma mère, toute sa vie, elle les attribue à l'éducation de sa mère à elle, dont la devise était celle de Disraeli : Never complain, never explain. Ne jamais se plaindre, ne jamais s'expliquer - ce que son père, lui, faisait tout le temps, et moi n'en parlons pas.
Georges, sombre et agité, a dit à Nathalie que ce mariage était une erreur et qu'il la rendrait forcément malheureuse parce qu'il était malheureux lui-même. Il était malheureux indépendamment des circonstances extérieures. Il était malheureux « constitutionnellement » - c'était son mot.
Et une fois que la vie, dans la réalité, a pris ce tour-là, à quoi bon la littérature?
Françoise Sagan, à qui on ne pense pas spontanément comme à une philosophe politique, a dit un jour que la différence entre la droite et la gauche, c'est que la droite dit : « Il y a de l'injustice, et c'est inévitable », et la gauche : « Il y a de l'injustice, et c'est insupportable.» J'ai beau chercher, je ne trouve pas de meilleure définition.
Et Tetyana ramasse dans cette formule éclatante, non seulement Dostoïevski, mais tout l'ADN russe : « Châtiment sans crime, crime sans châtiment. »
J'ai rencontré à Kyiv un type qui était une sorte de guru du développement personnel et, à ce titre, répétait autrefois le sempiternel mantra : il faut vivre dans le présent, ne se soucier ni du passé qui n'existe plus ni de l'avenir qui n'existera peut-être jamais : le présent, seulement le présent, c'est la clé de la sagesse. « Eh bien tu vois, m'a dit le guru avec une lucidité cruelle : c'est exactement ça, la guerre. Tu rêverais qu'il y ait encore un passé, un avenir, mais il n'y a plus de passé, plus d'avenir, nulle part où se réfugier, en fait tu n'as plus le choix. Plus d'autre option que de vivre dans le présent. Et ce que j'ai découvert, c'est que vivre dans le présent, c'est atroce. »
« Le prince Potemkine m'a joué un tour bien cruel en mourant », écrira Catherine - et le prince de Ligne, I'homme le plus aimable du XVIII siècle, leur partenaire de billard à tous les deux : « La nature, en le créant a utilisé les matériaux habituellement utilisés pour créer cent hommes. »