La possibilité d'un PPT : Mauvignier, Laurent. La maison vide
Père ManQ, raconte-nous une histoire.
Je fais partie de ceux qui n’ont pas vraiment aimé La Maison vide de Mauvignier.
Beigbeder parle dans son article au vitriol d’une véritable « secte » des fans de l’auteur.
Il faut dire que Mauvignier a un style particulier, à la manière de Proust : pas une phrase qui fasse moins de trois pages. Mais ici, la longueur ne fait pas la profondeur.
Dans sa « masterclass » sur France Culture, il explique à propos de son précédent roman (Histoires de la nuit, abandonné aux trois quarts), que si la version publiée est 30 % plus courte que le manuscrit, aucune phrase n’a été supprimée : la prouesse a consisté à toutes les raccourcir.
Mon ancien boss opposait deux méthodes de présentation créative : la démonstration en entonnoir, et ce qu’il appelait « la méthode des avocats américains » : Mon client est innocent, et je vais vous dire pourquoi. Mauvignier, procède comme lui : Le mariage forcé de mon arrière-grand-mère (et l’abandon du piano, discipline dans laquelle elle excellait) a conduit au suicide de mon père, et je vais vous raconter comment.
Sur 740 pages.
Bien tassées les pages.
Il n’y a jamais de bonne réponse dans notre métier. La seule vérité est qu’il faut toujours raconter une bonne histoire qui se tient. Une suite de “riens” qui s’enchainent, s’emboitent et forment un tout cohérent.
ce n’est pas que le destin est déjà tout tracé – rien n’est jamais tracé d’avance pour personne, d’ailleurs il n’y a pas de destin, il n’y a rien – juste la rencontre de plusieurs riens qui n’ont rien fait ni rien demandé – un hasard embrassant des hasards qui laissent sur le carreau ceux qui étaient probablement déjà partis sur des rails direction voie de garage.
Citations et idées remarquables.
Elle avait retenu sa respiration, avait mesuré la gravité de ses parents, leur air fermé, leur silence – on pourrait dire, d’un mot qui pour eux aurait été celui d’une langue étrangère, un mot pour les livres, pour les autres, dont ils n’auraient jamais admis la réalité dans leur propre vie : leur componction.
Car on ne médit pas tant sur les autres pour les rabaisser que pour accroître la surface de notre entente, pour la solidifier, la faire fructifier,
La médiocrité se vexe assez vite des élans de la joie pure.
Enfance, cette maladie persistante accrochée à ses dix-huit ans –, un lierre qui ne lâche pas et ne meurt pas alors qu’on en a arraché la racine depuis longtemps
égarée chez elle, attendant de se marier comme toutes les autres, se résignant peut-être déjà à vivre une vie sans vie.
Il dit combien l’art ne sert pas toujours à grandir mais parfois simplement à ne pas mourir.
pour arriver à taire ce qu’on veut cacher, il faut d’abord donner l’impression qu’on en a tellement parlé que ce n’est plus la peine d’y revenir, on a épuisé le sujet, on l’a essoré, vidé de sa substance à tel point que maintenant on peut le taire même si pour ça, on le sait, on doit au moins une fois le dire à voix haute pour se convaincre qu’on n’a pas eu peur d’en parler et qu’on n’a plus à le faire.
On parlait du défunt à voix basse, l’auréolant d’une bonté dont on n’avait jamais perçu le moindre signe durant sa vie, avec des mots si bienveillants qu’il semblait soudain à tout le monde que le défunt qu’on nous offrait là était une pure invention, ou alors qu’il avait été si exceptionnel que ça avait dû nous crever les yeux et qu’ainsi on n’avait pas su s’en rendre compte de son vivant, et soudain c’était évident, il était la bonté même, il était l’intelligence même, il était la générosité même, il était la bienveillance même, un homme comme on n’en fera plus, oui, le moule est cassé, c’est fini, on murmurerait bientôt, à l’église, sur la route du cimetière, et après, pendant le repas que la famille donnerait pour évoquer une dernière fois celui qui nous a réunis ce jour-là, que ce sont décidément toujours les meilleurs qui partent en premier, comme si tous, un jour ou l’autre, n’étaient pas destinés à devenir le meilleur d’entre eux.
ce fichu piano que lui n’avait jamais aimé, car en cette machine infernale il avait toujours vu, plutôt qu’un rival, un outil pour échapper au monde et à ses réalités que Marie-Ernestine avait toujours fait mine de mépriser.
Là, elle attendra le sommeil comme on s’accroche à une idée apaisante, mais que contrarient les idées sombres et les pensées obsédantes.
on doit vendre du rêve, apprendre à faire croire à des laiderons que telles robes ou jupes feront d’elles les femmes que leur miroir leur affirme toujours qu’elles ne seront jamais ; ainsi va l’arrangement avec la réalité et le désir d’être autre, c’est-à-dire d’être soi, ce soi en devenir et qu’on attend de trouver, révélé comme une épiphanie par la magie d’une robe ou la couleur d’un tissu.
Cette manie d’attendre la saison des journées les plus longues et les plus ensoleillées alors que le proverbe veut que ce soient les mariages pluvieux qui s’avèrent les plus heureux,
ce n’est pas que le destin est déjà tout tracé – rien n’est jamais tracé d’avance pour personne, d’ailleurs il n’y a pas de destin, il n’y a rien – juste la rencontre de plusieurs riens qui n’ont rien fait ni rien demandé – un hasard embrassant des hasards qui laissent sur le carreau ceux qui étaient probablement déjà partis sur des rails direction voie de garage.
Ça aurait pu durer comme ça encore longtemps, le temps stagne ; dans la répétition des jours et des semaines, des mois, soudain quelque chose devient fragile à mesure qu’on croit qu’il se solidifie, il suffit de presque rien, un soir, pour que tout bascule et s’effondre.
Ce qui avait commencé alors avait été une longue et douloureuse convalescence, comme si Marguerite avait dû se soigner d’une maladie dont elle n’avait eu conscience qu’au fur et à mesure qu’elle s’en éloignait
car il ne savait pas comment pleure un homme : son père ne lui avait jamais appris ça,
la mémoire, quand elle est trop douloureuse, s’écarte des chemins qui font mal, et ne garde pour se réinventer une joie dans le passé que les moments d’été, de soleil et de vie qu’on n’aura, en réalité, qu’à peine effleurés.
et c’est là qu’on s’était dit que cinq années c’est très long, infiniment, presque une vie à l’intérieur de la vie d’un homme, quand on se raconte habituellement que c’est à peine la vie d’un enfant.
La mort, c’est malheureux à dire, ne frappe que ceux qui restent,