La possibilité d'un PPT : Laura Vazquez. Les forces
Père ManQ, raconte-nous une histoire.
Laura Vazquez a reçu le prix Décembre cette année.
Un prix remis en novembre, présenté comme l’anti-Goncourt, et qui s’appelait avant le schisme « Michel Houellebecq » : le Prix Novembre.
Le fondateur, détestant Houellebecq, a quitté le jury lorsque celui-ci a décidé de le récompenser, et a créé ce nouveau prix histoire de foutre le bordel.
Le bordel comme toutes les œuvres récompensées : des récits lyriques, introspectifs, métaphysiques, érudits, référencés.
J’avais déjà lu Le Dossier M de Grégoire Bouillier : 2 000 pages de flux de conscience d’un mec un peu barré et un peu bourré.
C’est assez ma came. On sent que ces auteurs sont vraiment flingués. Des frères de folie.
Vazquez emprunte beaucoup au concept du désir mimétique de René Girard : nos désirs ne sont pas les nôtres, mais ceux des autres.
Pour ceux qui ont la flemme de lire Girard, je vous recommande Notre troisième cerveau : La nouvelle révolution psychologique, de Jean-Michel Oughourlian, un de ses élèves : plus accessible et plus praticable.
Elle s’appuie aussi sur les travaux d’Henri Laborit : nos comportements répondent aux contraintes du milieu.
Enfin je pense, ce n’est pas dit.
Les forces sont donc toutes les forces extérieures (société, pairs) qui forment l’identité d’un être humain qui, physiologiquement, n’est rien de plus qu’une coquille vide.
Bref : ce que l’on croit être notre identité unique n’est qu’un assemblage de notre environnement.
On est peu de chose.
Quelques grands thèmes / tensions pour vos stratégies.
Nous sommes devenus des spectateurs de nos propres vies : nous faisons les gestes, mais ce n’est plus nous qui les faisons.
Le confort moderne est un anesthésiant : nous ne souffrons plus physiquement, mais existentiellement.
Les personnes ne savent plus si ce qu’elles pensent est vraiment à elles : la pensée est devenue un écho, pas une production.
L’identité individuelle est un produit dérivé du groupe : dans un monde qui vend des identités prêtes à l’emploi, être soi devient un acte de rébellion.
On a remplacé le réel par la gestion du réel : plus personne ne vit : on administre son emploi du temps, ses émotions, ses opinions.
Le stress n’est pas une conséquence : c’est une stratégie. Le système nous stresse pour nous faire consommer davantage de confort.
Le progrès technique s’est construit sur de la destruction humaine… qu’on choisit d’oublier. Contradiction morale profonde mais quotidienne.
L’humanité souffre d’un déficit d’imagination : on s’imite les uns les autres parce qu’on a peur de l’inconnu.
Citations et idées remarquables.
Et le suicide est l’une des causes principales de la mortalité dans les pays contenant des maisons familiales dotées de panneaux happiness, love, smile every day.
Les humains sont larges, ils sont larges en eux-mêmes, mais ils se coincent dans l’étroitesse,
Plus on observe les éléments du monde, plus on s’aperçoit que leur cohérence vient du fait qu’on les observe.
Les humains prennent le bruit du monde pour leur propre pensée ou leur identité. Quand on leur dit : vous êtes comme ça, ils rient, et disent : ahah, c’est moi, oui, ahah, c’est tout moi, je suis comme ça. Je suis cette coquille, je suis ce vide, ce néant, c’est tout moi, ahah.
Il trouve trop risqué d’être lui-même et beaucoup plus facile et plus sûr d’être comme tout le monde, de devenir une contrefaçon, un numéro, un élément de la foule. (Søren Kierkegaard)
L’idolâtrie protège de l’effort.
Céder à la force de l’opinion générale est un acte de prudence, plus que de volonté. Ainsi tous craignent les exceptions ; et qui craint les exceptions aime la loi. (Jean-Jacques Rousseau)
Je n’avais pas d’opinion et donc, pas de limites, car si vous n’avez pas d’opinion sur les êtres vivants que vous rencontrez, les êtres vivants que vous rencontrez ne vous limitent pas. Si vous n’avez pas d’opinion sur vous-même, vous ne vous limitez pas. Si vous n’avez pas d’opinion sur la vie, sur le sens, sur le monde, alors la vie, le sens, le monde ne vous limitent pas,
Selon certaines études, les pensionnaires des hôpitaux psychiatriques prononcent les mots je et moi douze fois plus souvent que les personnes non psychiatrisées. Quand la santé mentale des individus s’améliore, la fréquence d’emploi des pronoms je et moi diminue largement.
Les humains sont des êtres d’impressions, et non de réflexions. Ils sont des êtres de réflexions, mais dans un deuxième temps. Aucune invention humaine n’est issue de la réflexion, car les découvertes importantes naissent d’une intuition physique, et d’impressions reparcourues par la raison.
ma vie, c’est comme si on s’en servait pour me battre. (Fernando Pessoa)
Si un enfant fait une addition, et s’il se trompe, l’erreur porte le cachet de sa personne. S’il procède d’une manière parfaitement correcte, sa personne est absente de toute l’opération. (Simone Weil)
La vérité n’a pas d’auteur.
Craindre l’erreur et craindre la vérité est une seule et même chose. Et : Celui qui craint de se tromper est impuissant à découvrir. Et : C’est quand nous craignons de nous tromper que l’erreur qui est en nous se fait immuable comme un roc. (Alexandre Grothendieck)
c’est une maladie qu’on appelle la tare : le sentiment d’incomplétude inhérent à l’existence, qui génère diverses formes de souffrance existentielle.
Les changements continuels d’objets de désir, la nostalgie de sensations passées, les vœux répétés, les souhaits au ciel et les mains jointes, désirs toujours jusqu’à la mort, et sans jouissance réelle, l’ennui, la fadeur, le besoin de confort, la livraison à domicile. Le capital fournit des rembourrages, des cales, mais ça ne fonctionne pas.
chacun cherche à se fuir, et personne n’y parvient, on reste prisonnier d’un moi que l’on déteste. (Lucrèce)
La plupart des personnes se sentent bêtes. Se sentir bête rend bête, c’est inévitable. Comme elles se croient stupides, elles obéissent et s’abrutissent. Ceci est utile à différents marchés. Celui de l’art contemporain en est un bon exemple. L’art contemporain vous dit : vous ne savez pas juger de la valeur esthétique d’une œuvre, vous n’en avez pas la capacité, vous ne comprenez pas ce qu’il faut comprendre, et lorsqu’il n’y a rien à comprendre, vous essayez de comprendre, car vous ne savez pas, comme vous êtes stupide, nous décidons pour vous. Et, à partir de cette humiliation, le marché de l’art contemporain prospère et vit, et les êtres s’agitent.
Savez-vous pourquoi nous sommes stressés ? Nous voulons préserver nos privilèges et en acquérir de nouveaux. C’est la source du stress.
Dans un état qui mêle la surstimulation et l’abattement, l’attention est détruite.
La violence des grands entrepreneurs capitalistes semble loin de vous, mais elle est en vous. La violence des grands entrepreneurs capitalistes est partout dans vos vies, mais elle est invisible.
Soudain, les mouvements dans ce système vous semblent un jeu d’acteur, des gestes absurdes comme se serrer la main, absurde comme une moustache sur le visage, une formule de politesse en bas de mail, un cirque, une comédie, des gestes enregistrés dès l’enfance et répétés jour après jour. Alors, ces gestes, votre corps les accomplit, mais vous ne les accomplissez plus. Et tout devient fantomatique et mensonger. Tout est débile et tout est vain. Mais vous avez une place. Vous n’avez pas à vous préoccuper de décisions morales. Et en contrepartie, vous êtes pensé, amusé, vous êtes ému, conformé. Ceci s’impose à vous.
Qui pourrait comprendre une histoire sans donc, sans car et sans parce que ?
Il existe des histoires sans justifications. Ce sont les plus importantes.
L’esprit de l’enfant est en cours de production. L’esprit de l’adulte est un produit. L’éducation est une loi.
Le but de l’éducation est de rendre ordinaire.
Quand je m’ennuie, je souffre, je l’ai remarqué. Aussi, je ne m’ennuie pas. Je regarde toujours quelque chose sur mon écran. Je ne suis jamais seule, autrement je m’ennuie, et si je m’ennuie je souffre.
Vous n’avez pas l’usage de vos mains, comme à peu près n’importe qui dans cette ville et dans les villes en général. Nous n’avons pas l’usage de nos mains. Nos mains sont au repos. Elles ignorent ce dont elles sont capables. Quand on a plus l’usage de ses mains, une partie de nous s’éteint.
Le travail était une chose qu’on faisait du fond de soi pour le monde, désormais on le fait parce qu’il le faut, en espérant la fin du jour.
Nous avons précisément dans les mains une machine fabriquée à partir de corps d’enfants. Les matières premières de nos machines personnelles sont échangées contre les corps d’enfants vivant sur un autre continent. Ces enfants tirent de la terre du cobalt avec leurs mains minuscules. Ils descendent dans des puits qui s’effondrent. Ces enfants trient et tamisent les résidus miniers. Ils travaillent plus de douze heures. Ils transportent des charges allant de vingt à quarante kilos. Ils gagnent environ un euro par jour. Des corps d’enfants s’usent et se tuent dans les sols des mines, dans la boue, pour en extraire les matières destinées à la fabrication de nos machines. Nous le savons. L’information n’est pas cachée. Qui peut vivre dans un tel monde ? Qui veut vivre là-dedans ? Tout le monde, apparement.
L’unique moyen de savoir jusqu’où l’on peut aller, c’est de se mettre en route et de marcher. (Henri Bergson)
Mais un jour, les humains ont été heureux, comme le sont les oiseaux qui volent pour rien le soir. Et les humains s’en souviennent, et c’est au fond d’eux-mêmes.