La possibilité d'un PPT : La vie des spectres - Patrice Jean
Père ManQ, raconte-nous une histoire.
Patrice Jean est de droite.
Chaque page, presque chaque paragraphe contient un aphorisme réac’, une maxime à la Philippe Muray pour survivre en milieu progressiste, une opposition entre gravité classique et vacuité de l'époque actuelle ; entre les promesses creuses de justice sociale et les combats modernes naïfs et dérisoires (inclusivité, langage, culture du paraître, charge mentale, novlangue).
« Il m’est impossible de parler. Donc j’écris. »
L’écriture devient la seule compensation à la censure imposée par la société ou soi-même.
Sont convoqués, parmi d’autres, Molière, Tolstoï, Marx, Pascal, dont la disparition ou l’affaiblissement dans la culture « populaire » marque un appauvrissement de l’existence.
« Les écrivains sont de mauvaises fréquentations, on ne les pratique pas sans danger.
À hanter les livres du passé, on quitte le présent ; le commerce des poètes et des romanciers de jadis (eux-mêmes souvent en guerre contre leur temps) vous arrache à ce que les sociologues désignent par le mot d’habitus : vous voilà muni d’un habitus littéraire opposé à celui de votre entourage, vous errez à côté de l’époque, loin des idées de vos amis, de vos proches, loin de tout. »
« Notre esprit, pensai-je, n’évolue pas selon sa propre nature, il dépend, aussi, du niveau moyen des esprits. Mon vocabulaire lui-même était gangrené par la parlure de l’époque. Sans m’en apercevoir, j’agrémentais mes phrases de “projets enterrés”, de “carrément” ou de “en mode repos”. Je surveillais mon langage pourtant, mais le siècle est plus fort que nous. Nous dénivelons tous ensemble, nous cessons de penser tous ensemble. »
« Chaque passant, me suis-je dit, est accompagné de ses doubles, ces chimères que l’on construit à partir d’une somme d’anecdotes et de souvenirs, un entrelacs de symboles et de phrases perdues. C’est le double que l’on aime, le double que l’on déteste. Les doubles remplacent la personne réelle, personne mobile et incertaine qu’il faudrait des années pour connaître vraiment : la réduire à son double (à son cliché) est une nécessité vitale. Nous manquons de temps (et d’envie) pour rendre justice à nos proches et, de toute évidence, à l’ensemble de nos frères humains. Nous vivons dans un pêle-mêle de semi-vérités, fabriqué à la va-vite. Un monde de spectres. »
« Je sais bien qu’au fond les gens sont moins bêtes que leurs discours ; n’empêche, qu’ils se croient obligés d’utiliser la camelote lexicale de saison me fiche le bourdon. »
C’est dur de vivre avec des cons, et quand on se nourrit uniquement des « écrivains du passé », tout le monde l’est un peu.
Avec lui, on apprend toujours de nouveaux mots, comme ici syntagme : « Groupe de morphèmes ou de mots qui se suivent avec un sens déterminé ». Syntagme et morphème, deux mots très planning stratégique.
Si vous avez besoin d’étayer une présentation pour un client pas super progressiste (ces derniers existent-ils encore ?), vous trouverez de quoi faire.
J’ai été surpris de le voir dans le top ventes des Relay en gare cet hiver.
Qui a dit que les gens de droite préféraient la bagnole.
Citations et idées remarquables.
Une jeune fille bâillait à ses côtés, pianotant sur son portable. À cet instant, dire que nous vivions aurait paru prétentieux : les passagers se contentaient d’être là, « en transit ».
Chaque parole de Sabrina a pour but de critiquer, de moquer, de rééduquer. Mais si on lui répond sur le même ton, elle crie comme un putois. Elle appartient à ces gens, très nombreux, avec lesquels il est inutile de discuter. On ne discute pas avec un automate.
je pense que vivre consiste à abattre, l’un après l’autre, tous les symboles de la gravité. Seule l’enfance croit au sérieux des adultes, c’est pourquoi, du reste, elle aime jouer, pour échapper à cet état supposément pondéré et raisonnable qu’elle prête à la condition d’adulte.
« On existe très peu pour l’autre, je veux dire : à ses yeux. On n’existe pour lui qu’en proportion du besoin qu’il a de nous. Pas plus, pas moins. »
Je l’ai cru moi aussi, un peu par vanité : de me voir toujours un livre à la main avait dû influencer l’inclination de Simon pour les gros volumes de Harry Potter. J’ignorais (bêtement) qu’il était le jouet d’une mode planétaire, que partout dans le monde des enfants ouvraient, au même moment, le même roman, lisaient les mêmes aventures du petit magicien. Aucun marchepied vers la lecture, non, plutôt une étape (parmi d’autres) pour pénétrer dans le monde des marchandises.
Si l’existence s’érode à mesure qu’elle se déploie, la douleur de vivre ne disparaîtra jamais. Imagine-t-on des éphémères (moustiques et phalènes) élaborer, sérieusement, une cité sans inégalités, un monde apaisé et fraternel ? C’est ce à quoi nous nous employons pourtant. Riez, riez, citoyens de l’inclusivité, vous passerez à la trappe, vous et vos rêves de justice.
J’ai songé à Blaise Pascal et à tout le décorum de la justice (robes rouges, hermines, palais) qui frappe l’imagination et assure son autorité, sans quoi personne n’accepterait de se plier aux jugements de cour.
Il m’est impossible de parler. Donc j’écris. Ceux qui peuvent parler n’ont rien à écrire.
Bientôt, tu vas faire ton Maurras et sortir de ton chapeau le pays légal et le pays réel… »
J’avais à l’esprit cette injonction de Molière : « Lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature. On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait, si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle.
J’ai trop lu. Je me suis éloigné de la rive, de notre époque et de ses vivants.
Les écrivains sont de mauvaises fréquentations, on ne les pratique pas sans danger. À hanter les livres du passé, on quitte le présent ; le commerce des poètes et des romanciers de jadis (eux-mêmes souvent en guerre contre leur temps) vous arrache à ce que les sociologues désignent par le mot d’habitus : vous voilà muni d’un habitus littéraire opposé à celui de votre entourage, vous errez à côté de l’époque, loin des idées de vos amis, de vos proches, loin de tout.
Chaque passant, me suis-je dit, est accompagné de ses doubles, ces chimères que l’on construit à partir d’une somme d’anecdotes et de souvenirs, un entrelacs de symboles et de phrases perdues. C’est le double que l’on aime, le double que l’on déteste. Les doubles remplacent la personne réelle, personne mobile et incertaine qu’il faudrait des années pour connaître vraiment : la réduire à son double (à son cliché) est une nécessité vitale. Nous manquons de temps (et d’envie) pour rendre justice à nos proches et, de toute évidence, à l’ensemble de nos frères humains. Nous vivons dans un pêle-mêle de semi-vérités, fabriqué à la va-vite. Un monde de spectres.
Au-delà de l’ironie, et comme souvent avec l’ironie, l’admiration n’était pas entièrement feinte.
(Sentiment dont j’ai honte, mais on ne réfute pas un sentiment).
Le syntagme de « charge mentale », me suis-je dit, aura bousillé plus sûrement la vie intérieure des êtres humains que le déclin de la lecture.
La croyance en Dieu n’avait jamais empêché la médiocrité, loin de là, mais, en présumant que le visible n’était pas l’unique source de la gloire, elle avait préservé, pendant des siècles, l’humanité de sa chute dans le dérisoire. Le tout de l’existence ne se résumait pas à une banale réussite mondaine très vite abolie.
La vie est sans deuxième chance, on ne peut pas effacer, ni raturer. La vie manque de style, c’est pourquoi l’art existe, pour que la forme proteste contre le débraillé de nos existences confuses,
Se révolte-t-on, m’avait-il un jour soutenu, contre la pluie ? Alors pourquoi se fâcher parce qu’un ministre a commis un délit d’initié ?
Fous qui méprisez celui que vous fûtes, en vous moquant du passé c’est de vous que vous portez le deuil, deuil souriant et machinal, car le présent qui vous occupe n’est qu’un passé en sursis,
Nous oublions presque tout de nos vies, les inquiétudes jadis invincibles disparaissent une à une avec le temps. Qui se souvient de l’angoisse d’être en retard à un rendez-vous, dix ans après ce rendez-vous ?
« Le vieillissement, pensais-je, est une perte de statut », voilà ce que j’enseignerais si l’on m’invitait à une conférence à la Business School de Nantes.
En temps de paix, une rencontre amoureuse reste l’une des rares aventures possibles.
L’homme naît parfait, c’est ce que pensait Tolstoï, et je le pense aussi.
Notre esprit, pensai-je, n’évolue pas selon sa propre nature, il dépend, aussi, du niveau moyen des esprits. Mon vocabulaire lui-même était gangrené par la parlure de l’époque. Sans m’en apercevoir, j’agrémentais mes phrases de « projets enterrés », de « carrément » ou de « en mode repos ». Je surveillais mon langage pourtant, mais le siècle est plus fort que nous. Nous dénivelons tous ensemble, nous cessons de penser tous ensemble.
Je n’oublie pas la sentence de Tolstoï : “Peut être libre un homme qui subit des violences, mais nullement celui qui les commet.”
Crébillon, Bastien, à chaque fois, citait Jacques Vaché : « L’art doit être une chose drôle et un peu assommante – c’est tout. »
Je pensais alors à la phrase de Marx selon quoi l’histoire advient deux fois, « la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce »,
Je sais bien qu’au fond les gens sont moins bêtes que leurs discours, n’empêche, qu’ils se croient obligés d’utiliser la camelote lexicale de saison me fiche le bourdon.