Planneur Romantique #74

La possibilité d'un PPT : Lynch, Paul. Le Chant du prophète - Cycle de l'apocalypse (3/X)

La possibilité d'un PPT
4 min ⋅ 24/03/2025


Père ManQ, raconte-nous une histoire.

Je me souviens d’une interview de Don Winslow — Cartel est dans ma liste des “si t’aimes pas, je te rembourse” — à qui on demandait : “Comment entre-t-on dans l’abîme ?”
Et ce prince déchu — ses derniers livres sont à chier — de répondre : “Un pas après l’autre.”
Le Chant du prophète, c’est l’histoire d’une société qui, un pas après l’autre, quitte la démocratie pour un régime autoritaire. Seamless, comme dans un team building “design thinking” (mais si, 2015, souvenez-vous).

Je parlais de Michel Hazanavicius la semaine dernière ; dans la même interview, il racontait que les Ukrainiens qu’il rencontrait (il y est allé cinq fois) lui disaient tous : “C’est fou, il y a deux ans, j’étais comptable. Maintenant, je tue des gens, mais ça me semble normal.”


il n’y a pas si longtemps tous ces gens étaient salariés, stagiaires, étudiants ou chômeurs, en un clin d’œil ils se sont accoutumés aux effusions de sang.

Ca aussi ça résonne pas mal

Si tu veux appeler la guerre par son vrai nom, dis plutôt divertissement, on se donne en spectacle devant le reste de la planète.

Je ne sais pas quel sera le livre de la semaine prochaine, j’ai un peu la flemme de relire Voyage au bout de la nuit. “Muss es sein ? Es muss sein !”


Citations et idées remarquables.

Dans les temps sombres
Y aura-t-il aussi des chants ?
Oui, il y aura aussi des chants.
Sur les temps sombres. 
Bertolt Brecht

A partir d’un certain moment la barbe d’un homme n’est plus une affirmation de l’âge adulte mais un rempart dressé devant la jeunesse,

Toi et moi nous sommes des scientifiques, nous appartenons à une certaine tradition, mais qu’est-ce qu’une tradition, sinon ce sur quoi tout le monde s’accorde – chercheurs, enseignants, institutions –, et quand on prend le contrôle des institutions, alors on prend aussi le contrôle des faits, on peut modifier toutes les formes de croyance, les choses sur lesquelles tout le monde s’accorde, et c’est précisément ce qu’ils sont en train de faire. C’est extrêmement simple, Eilish, le NAP s’efforce de transformer ce que toi et moi appelons la réalité, ils entretiennent la confusion, et si l’on prétend qu’une chose en est une autre et qu’on le répète assez longtemps, eh bien elle finit par le devenir, et il suffit de le répéter indéfiniment pour que les gens l’acceptent comme une vérité – rien de bien neuf là-dedans, je sais, sauf que cette fois ça se produit dans ta propre vie, pas dans un bouquin.

Tous les garçons grandissent et finissent par quitter le foyer pour défaire le monde sous prétexte de le façonner, la nature en a décidé ainsi.

Cet homme a été formé pour suivre les règles du jeu mais que reste-t-il de lui une fois que le jeu a changé ?

elle comprend que le bonheur se niche dans ce qui relève de l’ordinaire, qu’il réside dans les mouvements quotidiens comme s’il devait rester invisible, telle une note qui demeure inaudible tant qu’elle ne résonne pas depuis le passé

Elle s’aperçoit alors que sa peur l’a quittée, son corps s’est dénoué à l’idée qu’une action était possible.

La peur attire la chose même qui la nourrit,

le temps n’est pas une ligne horizontale, mais un poids à la trajectoire verticale qui va s’écraser au sol.

Si tu veux appeler la guerre par son vrai nom, dis plutôt divertissement, on se donne en spectacle devant le reste de la planète.

c’est elle qui dégringole comme si ses propres bras l’avaient lâchée, l’impression qu’ils sont tous en train de chuter vers quelque chose que rien de ce qu’elle a connu ne peut l’aider à définir.

L’histoire, c’est le registre silencieux de ceux qui n’ont pas pu partir, de tous ceux qui n’ont jamais eu le choix, comment partir quand on n’a nulle part où aller, on ne va nulle part quand nos enfants ne peuvent pas obtenir de passeport, on ne va nulle part quand on a les pieds enracinés dans le sol et qu’il faudrait les arracher.

il n’y a pas si longtemps tous ces gens étaient salariés, stagiaires, étudiants ou chômeurs, en un clin d’œil ils se sont accoutumés aux effusions de sang.

le temps ajoute et retranche, pense-t-elle, il additionne les jours et soustrait à chaque fois un peu de ce qui reste, le souffle tranquille de son père qui sommeille. Elle se dit que le corps donne souffle à l’esprit, c’est le battement du cœur qui fait l’homme jusqu’à ce que celui-ci soit terrassé.

elle comprend que ce qu’elle a vu dans ses yeux était l’instant précis de son entrée dans l’âge adulte.

bien qu’il n’y ait pas de mots pour un enfant aussi jeune, pas d’explication à ce qui a été fait, et pourtant il gardera à jamais la connaissance de choses dont il n’aura pas souvenir,

Les choses qu’on laisse derrière soi ne disparaissent pas pour autant, bien au contraire, elles ne cesseront de s’alourdir et ils les porteront à jamais sur leurs épaules.

Tout ce qui s’est passé, jamais je ne l’aurais cru, jamais de la vie, je ne comprenais pas ceux qui décidaient de partir, s’en aller comme ça, du jour au lendemain, en laissant tout derrière eux, en abandonnant leur vie d’avant, tout ce qui faisait leur existence, à l’époque on ne l’envisageait même pas, et plus j’y réfléchis, plus je me dis qu’on ne pouvait rien faire en réalité, vous voyez, on était coincés quand on nous a proposé ces visas, c’est difficile de s’en aller quand on a tant d’engagements et de responsabilités, et le jour où la situation a empiré on n’avait plus aucune marge de manœuvre, ce que j’essaie de vous expliquer, c’est qu’avant je croyais au libre arbitre, si vous m’aviez posé la question avant que tout ça n’arrive, je vous aurais répondu que j’étais libre comme l’air, mais aujourd’hui je n’en suis plus aussi certaine, je doute qu’il existe un quelconque libre arbitre quand on est pris dans quelque chose d’aussi monstrueux, une chose en appelle une autre et, à la fin, cette horreur obéit à sa propre dynamique, on ne peut plus rien y changer, maintenant, je me rends compte que ce que je prenais pour de la liberté n’était qu’une façon de se battre, la liberté, on ne l’a jamais eue.

Elle comprend que la terreur engendre la compassion et que la compassion engendre l’amour et que l’amour est capable de racheter le monde, croire que l’on assistera à la fin du monde n’est que vanité, ce qui s’achève en vérité lors de la catastrophe finale, c’est notre vie et rien d’autre, le chant du prophète dit toujours la même chose, un chant identique répété de siècle en siècle, le tranchant de l’épée, le monde dévoré par les flammes, le soleil qui sombre en plein midi, la furie d’un quelconque Dieu s’incarnant dans la bouche du prophète qui s’emporte contre l’iniquité à abattre, ce n’est pas la fin du monde que chante le prophète mais le sort de certains d’entre nous, autrefois, aujourd’hui ou dans les temps à venir, le sort de certains et non de tous, il dit qu’à chaque moment le monde s’achève en un lieu et nulle part ailleurs, la fin du monde est toujours un événement circonscrit, elle arrive dans votre pays, entre dans votre ville et frappe à votre porte, mais elle n’est pour les autres qu’une vague menace, un bref compte rendu dans un bulletin d’information, l’écho d’événements transformés en récit,

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Par Emmanuel Quéré