C’est quoi l’idée ?
Celui qui lit, aura vécu 5000 ans ; la lecture est une immortalité en sens inverse ; la littérature et la vie c’est pareil. Le métier de planneur stratégique en agence de publicité consiste à connaître les gens ; à vivre d’autres vies que la sienne.
Je suis payé pour vendre des idées, souvent celles des autres, la forme étant le fond qui remonte à la surface elles doivent être bien troussées et présentées non pas comme une découverte mais comme la redécouverte de celles d’illustres individus avant nous.
Rien n’est de moi dans les lignes précédentes, lire sert à ça, à copier et à coller.
Avant, il faut collecter et c’est ce que je fais, chaque lundi à 13h45 dans cette newsletter ; pour mieux les retrouver au besoin.
Père ManQ, raconte-nous une histoire.
Avec du talent, on fait ce que l’on veut ; avec du génie, on fait ce que l’on peut.
Ohio raconte le parcours d’une jeunesse blanche foudroyée par le 11 septembre, du high des Friday Night Lights aux conséquences de la guerre en Irak. Markley appartient à la même trempe qu’une Joyce Carol Oates : on sent qu’il pourrait sortir un petit phénomène chaque année, les doigts dans le nez. La contrepartie de ce talent, c’est qu’il cherche ici, dans Ohio, à paraître trop intelligent. On perçoit le type satisfait de lui-même à la fin ; c’est lui le plus malin.
Dans Le Déluge, en revanche, son dernier roman, son talent est mis au service d’une fresque de 35 ans impeccablement maîtrisée, qui fait se croiser une dizaine de personnages : militants, scientifiques, politiques, marketeux, financiers, éco-terroristes, militaires, publicitaires... (Un personnage raconte même les dessous de son Grand Prix au festival de la créativité de Cannes pour une campagne Adidas.) Tout cela dans un monde bouleversé par le changement climatique.
Découpé en cinq périodes temporelles, le roman dépeint les conséquences concrètes et destructrices de la hausse des températures et de la fonte des glaciers (ouragans, méga-feux, inondations, immigration, montée des populismes, fin de l’histoire pour la démocratie libérale), modifiant, degré après degré, la toile de fond et intensifiant la violence des actions et réactions des personnages. Suffocant, réaliste et souvent très justement cynique. Les marketeux se réjouissent de la fonte de l’Antarctique, qui ouvre de nouvelles voies commerciales plus rapides pour le transport de fret ; les militants s’écharpent sur la question de la cause transgenre dans un monde à +3 degrés ; les politiques adoptent des mesures radicales et liberticides pour sauver l’espèce...
Si vous avez du mal à imaginer à quoi ressemblera notre monde à +1,5, 3, 4 et 5 degrés (on est tous morts), laissez-vous tenter par ce que j’ai envie d’appeler de la Real Non Fiction.
Un fu**ing blockbuster littéraire. Je n’ai même pas eu le temps de prendre des notes. Directement dans la liste « Si t’aimes pas, je te rembourse. »
Ah, et si Ohio intéresse encore certains d’entre vous, c’est plus bas.
Citations et idées remarquables.
L’amour est une stratégie marketing comme toutes les autres, or une campagne de pub finit toujours par perdre de son piquant. Et l’amour par ressembler à un mauvais spot pour des tacos.
Quelle leçon cruciale pour toutes les jeunes personnes : si vous défiez la psychose collective du nationalisme et des guerres impérialistes, vous en paierez le prix. Et votre entourage, vos proches, les personnes dont vous pensiez avoir l’amour et le respect, ce seront elles qui viendront encaisser la note.
Qu’avait imaginé Dostoïevski à la fin de Crime et Châtiment ? Raskolnikov rêvait d’un virus qui se propageait dans le monde entier, amenant tous les habitants à croire qu’ils étaient les seuls à détenir la Vérité.
Nous le savons tous, la mémoire fonctionne de telle sorte que notre vie entière se trouve expliquée par une poignée de moments précis, des totems qui deviennent ensuite des récits. Reste à inventer ce qui liera le reste.
La littérature et le sexe, ce sont les deux méthodes de base pour délimiter les périodes de nos vies. On lit telle personne et on couche avec telle personne pendant une période donnée, et on s’aperçoit que les deux changent à des moments étonnamment similaires. »
On est tous des voyageurs, Stacey. La seule chose qui nous différencie, c’est la quantité de bagages qu’on choisit de se mettre sur le dos.
C’est ça, l’adolescence : chacun vit dans sa bulle de doutes terrifiants, sans envisager que tous les autres soient dans le même cas.
Notre culture repose sur notre droit à l’abondance, et sur pas grand-chose d’autre. Et nous avons mis notre droit de naissance en danger parce que nous sommes incapables de nous contrôler. De contrôler notre désir. »
Avant, il ne buvait que de la Budweiser, puis il y avait eu les pubs avec les grenouilles. Il avait dit : « Je peux pas boire une bière de débiles », avait fini son stock le soir même et, à la connaissance de Dan, n’y avait plus jamais touché.
Quand on lui tira dessus pendant sa deuxième patrouille, un projectile qui se planta dans son gilet pare-balles et lui fit croire qu’il n’était pas touché à un seul endroit mais à tout le torse, et quand la mince couche d’air séparant son corps de la protection remonta et lui souffla la gorge et le visage, il se sentit chez lui, plus que les dix-huit jours précédents entre le regard de sa mère, l’humour de son père et les bras de Hailey. Ce qu’on appelle « chez soi » est une sensation volatile, pas un lieu, et pendant une grande partie de sa vie, chez lui, ce fut cette balle dans la poitrine.
Qu’est-ce que l’histoire, sinon un verdict de la mémoire ? Et qu’est-ce que la mémoire, sinon une reproduction infidèle faite de sexe, de mort, de justice, de crime, de prière, de cupidité, d’espoir, de pitié et d’amour ? De même que l’âme, la mémoire est un matériau en fusion.
devant l’Histoire, nous ne nous identifions qu’au vainqueur, par une empathie qui profite au dirigeant du moment. Ce dirigeant est l’aboutissement d’une longue lignée d’hommes ayant enjambé le corps sans vie de leur prédécesseur, lui-même héritier d’une longue lignée de violence et de pouvoir. Ainsi, les ressources et la culture engrangées après les guerres sont transmises en suite directe, et il devient difficile d’envisager tout témoignage de civilisation comme autre chose qu’un témoignage de barbarie. L’inéluctabilité du progrès étant un vain fantasme. Le progrès, avertissait Walter Benjamin, est éphémère et repose sur le « faible pouvoir messianique » de chaque génération. Sur le fait que chacune se considère comme la conclusion de l’Histoire : la destinée de tous nos prédécesseurs était de vivre et de mourir afin que nous puissions triompher.
Le philosophe possédait un tableau de l’artiste Paul Klee intitulé Angelus Novus et représentant un ange qui paraît reculer à toute vitesse, les ailes déployées, les yeux écarquillés, la bouche ouverte, et Dan n’avait jamais pu oublier sa description, l’ayant hélas mémorisée sans le vouloir : « C’est à cela que doit ressembler l’ange de l’Histoire, écrivait Benjamin. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »
« Je te présente Fitz. Il a deux ans. »
Elle lui montra son téléphone. Une photo de son fils, coupe au bol, yeux en amande et grand sourire d’alligator. Bill fit défiler quelques clichés et lui rendit l’appareil. «
Fitz ?
– Fitzwilliam. Comme Mr Darcy, dans Orgueil et Préjugés ?
– Outch. Ça va pas être facile à porter d’ici sept-huit ans.
– C’est à moitié pour ça qu’on a choisi ce prénom. Du coup, s’il décide qu’il est gender fluid, il pourra changer pour Darcy.
– Pourquoi vous avez fait ça ? Avoir un gosse. Le monde est condamné. » Elle lui lança un regard mauvais et serra son téléphone contre elle, comme pour protéger son fils. « Mon frère Patrick appelle ça “Dieu”, pour moi c’est une “énergie”, mais dans les deux cas ça consiste à orienter son cœur vers un objet qui permet de faire le bien, Bill. »