Planneur Romantique #73

La possibilité d'un PPT : Remi Babinet, Pas de publicité merci.

La possibilité d'un PPT
11 min ⋅ 17/03/2025


Père ManQ, raconte-nous une histoire.

Vivez donc et soyez heureux, lecteurs chéris de mon cœur, et n'oubliez jamais que, jusqu'au jour où Dieu Rémi Babinet daignera dévoiler aux publicitaires toute la sagesse humaine, elle sera contenue dans ces trois mots : pas de pub, merci !

Alexandre Dumas.

(Ouais, je n’ai pas compté “de” comme un mot, mais Dumas ne comptait pas non plus le “et” de Attendre et espérer dans la phrase originale. La dernière du Comte de Monte-Cristo ; deux œuvres qui, en plus de la sagesse, partagent le même nombre de pages.)

J’ai hésité entre deux flagorneries, une littéraire, l’autre publicitaire, pour introduire cette édition consacrée au taulier du métier.
L’autre était “Ad Agency As It Should Be” ; habile référence à l’article de The Drum sur BETC “also an ad agency” et à la célèbre campagne du Club Med (CLM, Synergie ? Je ne sais plus, Walthère me manque, lui saurait).

Une troisième option a été assez vite abandonnée : “l’équivalent contemporain des Lettres à Lucilius de Sénèque.” Même pour moi, c’était aller au delà de flatterie acceptable.
L’absence de l’ENS dans mon cursus ne me permet de toute façon pas de postuler chez BETC.

Son auteur était à l’agence mercredi dernier pour l’offrir et le dédicacer à tous les employés d’Havas.
Je pourrais vous faire croire que je l’ai lu en trois jours, mais la vérité, c’est que je l’ai payé de ma poche il y a trois mois, comme un prince, et que, sur l’heure des dédicaces, j’étais bloqué dans une réunion pour tenter de faire de l’Europe une love brand — au secours. Rémi Babinet ne pouvait donc pas être dans cette réunion, pourtant c’est dans son livre que se trouvait la solution :

« L'Europe est un club de nations qui a renoncé au projet d'être un empire », dit Peter Sloterdijk. Cela explique peut-être, entre autres raisons, qu'elle n'ait jamais eu d'identité claire, ne soit jamais devenue une marque.

Comment construire l'identité d'une marque qui n'a pas vocation à devenir, par exemple, quelque chose d’aussi simple et épique qu'un empire ? Est-ce qu'on peut faire une marque attractive de quelque chose d’aussi complexe et anti-sexy qu'un club de nations ? Le patron d'un grand quotidien, Européen convaincu, me disait il y a quelques années qu'il vendait deux fois moins les jours où il faisait sa une sur l'Europe.

L'Europe reste un échec et un espoir. Elle existe, mais elle n'a pas d'identité, et elle en est fragilisée. Le combat de l'identité et de la marque s'appuie avant tout sur l'histoire, le projet, la vitalité économique : en 2000, l'Europe s'était donné comme ambition de « devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. »

Sur le sujet, Google, Apple, Facebook, Amazon ne lui ont laissé aucune chance.

La guerre en Ukraine, la compétition mondiale autour de l'intelligence artificielle, l'hésitation planétaire entre les populismes et les progressismes sont des moments cruciaux où la marque Europe pourrait redorer son blason.

Il y a cette phrase que j’aime beaucoup parce qu’elle résume à la fois l’ambition du bouquin et celle de ma newsletter :

« La culture avance sur ces petites pattes que sont les guillemets. Le guillemet, c'est la politesse du pirate. »

On y trouve une jolie métaphore sur notre métier.

« Le regard humain a ceci de propre, qu'il peut donner de la valeur aux choses ; il est vrai qu'alors elles deviennent également plus chères », écrivait Ludwig Wittgenstein dans ses Remarques mêlées.

J’y ai aussi trouvé une idée de signature pour mon agence (Havas Play).

Einstein a écrit : “Play is the highest form of research.”

J’aime cette anecdote sur le genre de conversations, la richesse intellectuelle, que l’on trouve dans une agence de pub et qui fait qu’il est si difficile de considérer un autre job.

La somme d'attention, de recherche et d'esprit dont parle McLuhan est ce qui rend une agence de publicité unique et quelquefois difficile à quitter. J'en discute avec Clément Boisseau, directeur du planning, qui a quitté l'agence et y est revenu :

« Certes, à la fin, on veut vendre plus de yaourts, à des gens pour qui ce n'est pas forcément naturel de manger des yaourts, mais il n'y a pas beaucoup de métiers comme le nôtre, qui te permettent d'approfondir l'étude des habitudes et de la culture des gens. Ce que j'aime ici, c'est qu'on apprend tout le temps et que ça sert. »

Et, pour me donner un exemple, lié au travail qu'il est en train de faire, il se lance dans l'histoire du lait et de notre rapport au lait. Est-ce que l'on consomme tous du lait dans le monde ? Et sous quelles formes ?

« Notre point de départ, c'est de dire que, oui, on a tous un rapport avec le lait. C'est universel de considérer que nous vivons dans la Voie lactée (The Milky Way). C'est synonyme de vie. En revanche, ce lait n'est pas forcément d'origine animale, il peut être végétal. Et si la consommation de lait d'origine animale (principalement de vache) est devenue massive, c'est du fait de la colonisation et de l'expansion des Européens, qui ont exporté leur façon de se nourrir dans les zones qu'ils ont conquises par la force... Alors qu'ils sont les seuls peuples au monde à consommer du lait de vache et à ne pas être intolérants au lactose, contrairement à plus de 70 % de la population asiatique... »

Il y a 1300 pages comme ça. Ça se lit vite et, si c’est bien lu, ça peut vous rendre un peu meilleur.

Bises.


Citations et idées remarquables.

Une agence peut rêver des formes les plus inavouables de publicité, à la fin elle ne brille qu'en faisant briller les autres. Sa valeur n'est que l'éclat de ses clients

« La culture avance sur ces petites pattes que sont les guillemets.
Le guillemet, c'est la politesse du pirate.»

Avant, un créateur se lançait ce genre de défi : « Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau !»Maintenant le défi général serait plutôt : « Au fond du nouveau pour trouver de l'inconnu!»

« la réalité et la solidité du monde humain reposent avant tout sur le fait que nous sommes environnés de choses plus durables que l'activité qui les a produites, plus durables même, en puissance, que la vie de leurs auteurs» comme l'écrit Hannah Arendt

Je me rappelle cette phrase de Warhol: «Il y a trois choses que je trouve toujours très belles: ma bonne vieille paire de chaussures qui ne me fait pas mal aux pieds, ma chambre à moi, et la douane américaine en rentrant de voyage.»

En visitant avec eux l'exposition « L'Usage des formes » au palais de Tokyo en 2015, consacrée au savoir-faire et à l'ingéniosité humaine, j'avais photographié un texte affiché dans l'entrée. Connu sous le nom de « Prière de l'artisan », c'est une prière des copistes et enlumineurs du haut Moyen Age, vraisemblablement anglaise. Bullshit job or not bullshit job ?

« Apprends-moi, Seigneur [...] à prévoir le plan sans me tourmenter, à imaginer l'œuvre sans me désoler si elle jaillit autrement. Apprends-moi à unir la hâte et la lenteur, la sérénité et la ferveur, le zèle et la paix. Aide-moi au départ de l'ouvrage, là où je suis le plus faible. Aide-moi au cœur du labeur à tenir serré le fil de l'attention. [..] Garde en moi l'espérance de la perfection, sans quoi je perdrais cœur. Garde-moi dans l'impuissance de la perfection, sans quoi je me perdrais d'orgueil. L...] Seigneur, ne me laisse jamais oublier que tout savoir est vain sauf là où il y a du travail, et que tout travail est vide sauf là où il y a amour, et que tout amour est creux qui ne me lie à moi-même et aux autres et à Toi, Seigneur! [...] Rappelle-moi que l'ouvrage de mes mains t'appartient et qu'il m'appartient de te le rendre en le donnant ; que si je le fais par goût du profit, comme un fruit oublié je pourrirai à l'automne; que si je le fais pour plaire aux autres comme la fleur de l'herbe je fanerai au soir; mais si je le fais pour l'amour du bien, je demeurerai dans le bien: et le temps de faire bien et à ta gloire, c'est tout de suite, Amen!»

Workshop

La philosophie du workshop telle que je l'ai comprise en discutant avec Alexandre Ben Soussan, planneur à l'agence. Premier axiome: on ne va pas régler nos problèmes par le travail. Le travail, pourtant divinisé, ne semble pas pouvoir être en soi source de créativité, autrement dit source de solution... Deuxième axiome: les êtres les plus créatifs sont les enfants, donc si on se comporte comme des enfants, on va devenir plus créatif. On imagine Léonard de Vinci en train d'éclater des ballons! Au-delà de cette logique de débridage si particulière, une autre est à l'œuvre, continue Alex: « On va faire croire à tout le monde qu'on trouve ensemble et le boss va dire oui, tout ce que vous dites est très intéressant, on note tout sur des post-it, on ne perdra pas un mot de ce que vous dites, etc. C'est la comédie de l’horizontalité ». Tout le monde est content d'avoir participé. Il y a aussi de nouveaux maîtres d'atelier, et leur cri si particulier :

I love it ! I love it ! I love it !

Got Milk ?

La somme d'attention, de recherche et d'esprit dont parle McLuhan est ce qui rend une agence de publicité unique et quelquefois difficile à quitter. J'en discute avec Clément Boisseau, directeur du planning, qui a quitté l'agence et y est revenu. « Certes à la fin, on veut vendre plus de yaourts, à des gens pour qui ce n'est pas forcement naturel de manger des yaourts, mais il n'y a pas beaucoup de métiers comme le nôtre, qui te permettent d'approfondir l'étude des habitudes et de la culture des gens. Ce que j'aime ici, c'est qu'on apprend tout le temps et que ça sert. » Et, pour me donner un exemple, lié au travail qu'il est en train de faire, il se lance dans l'histoire du lait et de notre rapport au lait. Est-ce que l'on consomme tous du lait dans le monde? Et sous quelles formes? « Notre point de départ c'est de dire que, oui, on a tous un rapport avec le lait. C'est universel de considérer que nous vivons dans "la voie lactée" (the milky way). C'est synonyme de vie. En revanche, ce lait n'est pas forcément d'origine animale, il peut être végétal. Et si la consommation de Lait d'origine animale (principalement de vache) est devenue massive c'est du fait de la colonisation et de l'expansion des Européens qui ont exporté leur façon de se nourrir dans les zones qu'ils ont conquises par la force... Alors qu'ils sont les seuls peuples au monde à consommer du lait de vache et à ne pas être intolérants au lactose, contrairement à plus de 70 % de la population asiatique...

Être confronté en permanence à d'autres modes de pensée que les siens, devoir les explorer, est un temps perdu précieux.

Last but not least : Proust. Un cas à part de publicitaire.

Pour faire parler de lui et de son livre, il fait appel à des amis, qui écrivent des critiques élogieuses pour les caser dans les pages de journaux, parfois contre u peu d'argent. Jusqu'ici tout va bien, on est en terrain connu. Mais de temps à autre, Proust se charge d'encenser lui-même son livre, sous pseudonyme, qualifiant Du côté de chez Swann de « petit chef-d’œuvre » qui «disperse les vapeurs soporifiques» des autres livres en vente «comme un coup de vent».

« Faire du ciel le plus bel endroit de la Terre » était un beau projet appuyé sur une vérité mathématique, jouissive et poétique: il y a quelque chose entre un point et un autre. Alors que naissait un complot pour nous faire croire qu'il n'y a rien.

Le nombre de choses qui arrivent quand le temps s'immobilise est incalculable : vous entendez des choses que vous n'entendiez pas, vous voyez des choses que vous ne voyiez pas, vous comprenez des choses que vous ne compreniez pas 

«Plus les images sont petites et plus elles bougent, plus j'ai envie de faire de grandes images fixes ». Une semaine avant je déjeunais avec la responsable de la communication de l'ensemble des marques d'un très grand groupe de luxe. Elle me parle des études que ses équipes ont réalisées sur la consommation d'images.

Elles établissent clairement que le print a un pouvoir de toucher sans comparaison avec le digital. Impact, rémanence : l'imprimé imprime. Avec le digital, très souvent, je n'imprime pas. Personne n'imprime.

Il a trouvé un nom pour décrire l'acte de mettre au monde des contenus invisibles:

«l'obsonaissance ».

Je me souviens d'un slogan à la fin d'une pub, sidérant pour une banque. « Ce que le monde divise, la musique le rassemble.»

Ce que j'aime dans la littérature de genre, et spécialement le roman noir, c'est qu'elle est pleine de marques. Voitures, whiskies, automatiques et semi-automatiques Luger, Magnum, Beretta...

Placements produit simples et irréprochables. «Il acheta un simple coupé Peugeot 504 de 1973, développant 110 cv à 5600 tours minute et montant à 175 km/h en cas de besoin.»

Ce réalisme augmenté m'a toujours plu. L'équivalent aujourd'hui du « détail vrai » de Stendhal. Le certificat que la littérature est en prise avec l'époque, au cas où on en douterait parfois.

Il offre au lecteur un moment quasi-religieux pendant lequel il entre en communication avec l'auteur comme s'il marchait avec lui dans la rue. Il est lié à lui par les mêmes problèmes techniques, alimentaires, sentimentaux, de choix de marques. Il y a communion.

«Le regard humain a ceci de propre, qu'il peut donner de la valeur aux choses; il est vrai qu'alors elles deviennent également plus chères » écrivait Ludwig Wittgenstein dans ses Remarques mêlées.

Je me souviens d'un cours d'initiation à l'économie au lycée, où l'on nous avait raconté que devant deux téléviseurs identiques dont l'un était badgé Sony, des cobayes avaient une perception du prix qui variait du simple au double.

Et, à l'envers, le rôle du prix dans la perception de la qualité? Énorme!

Dans cette campagne pour Gant, page précédente, l'agence a pensé que, quand personne ne sait exactement le boulot qu'il va faire demain, ni de quelle humeur sera Kim Jong-un ou Poutine au réveil, si au moins une chose voulait bien ne pas changer, ce ne serait pas mal.

Trois phrases d'anciennes célébrités sur la nouveauté

Steve Jobs, à qui l'on demande s'il a fait une étude de marché avant de lancer le Mac: « Vous pensez qu'Alexander Graham Bell a fait une étude de marché avant d'inventer le téléphone?»

Henry Ford: « Si j'avais demandé à mes clients ce qu'ils voulaient, ils m'auraient répondu: un cheval plus rapide.»

David Ogilvy: Change is blood.

J'ai lu, à Los Angeles, une phrase qui exprime bien ça et pourrait être le Just do it de la publicité. Très loin de moi l'idée de penser que c'est facile. Don't interrupt what people loves, be what people loves.

Le calcul de l'effet

Le succès d'une histoire - et on en raconte beaucoup dans la publicité - résulte rarement d'un calcul savant. Le calcul, au contraire, conduit souvent à des échecs prévisibles. Le calibrage obsessionnel de la communication publicitaire par les marques, testée, retestée, post-testée, relève de ce genre de calculs et les prive de plus en plus du talent de leurs agences. Qui a envie de suivre longtemps l'histoire de quelqu'un qui vérifie chaque seconde où il met les pieds ? Une bonne campagne réclame de la liberté, de la surprise, de l'impertinence. Donc une entente profonde entre une agence et son client, basée sur la confiance. Peu de campagnes de bon niveau échappent à cette règle.

Oui, le succès est difficile. Non, il n'est pas facilement calculable. En tout cas seuls le rencontrent ceux qui ont eu le goût et le plaisir de le chercher ensemble.

J'adore cette phrase de Churchill, sans doute prononcée à la fin d'un super gueuleton: «Le succès c'est la capacité d'aller d'échec en échec sans perdre son enthousiasme.»

Comme le disait il y a quelques années Benoît Devarrieux, « Depuis les années 1980, mi-effrayés, les clients aiment dire à propos des créatifs qu'ils ont fumé la moquette. En 2020 les clients pleureront car les robots ne fument rien.»

Dans une agence, on apprend à jouer. On apprend à apprendre. Ce qui explique l'impression qu'ont pu avoir mes enfants, quand ils étaient petits, qu'on n'y travaillait pas vraiment.

Einstein a écrit Play is the highest form of research.

L'agence aurait peut-être dû se lancer dans les mathématiques.

Je croise tous les jours des créatifs à l'intelligence aussi peu spectaculaire qu'extraordinaire.

Supérieure ? J'aurais tendance à dire oui, mais je suis de parti pris. En tout cas, je suis devenu plus intelligent à leur contact. Ce sont des cerveaux avec des trous, des œillères, des fulgurances et des entêtements pour lesquels l'ordre traditionnel des étapes de l'analyse d'un problème est lourd et ennuyeux.

Cela ne va jamais assez vite, ils ont déjà fait la synthèse. Ils appartiennent à l'espèce des foudres plutôt qu'à celles des lanternes qui éclairent le chemin.

Les meilleurs n'oublient jamais qu'ils sont là pour ne rien faire comme les autres. Ils sont toujours animés par l'inquiétude. Celle de ne pas trouver. De devoir fournir avant d'avoir trouvé. C'est rassurant de les avoir à ses côtés. Leurs idées fixes guident mieux que beaucoup de revirements. C'est exactement le genre d'inadaptation que j'aime quand la demande actuelle veut de plus en plus d'adaptabilité et de moins en moins d'étrangeté. J'ai essayé de pousser le plus loin possible les logiques de ces intelligences hors normes.

Forever YOUNG

Je lis dans un livre forcément très actuel (car intitulé Forever YOUNG) quelques phrases qui me plaisent.

Elles résument la philosophie de Young & Rubicam.

Je crois y voir la patte de l'excellent Gabriel Gaultier, qui dirigeait l'agence au moment où ce livre est paru.

«Non aux idées jetables, les marques sont éternelles.

L'éternelle jeunesse des marques, tel est notre combat.

L'éternité est dans les valeurs, la jeunesse et la vitalité dans l'expression. »

« Une marque doit avoir un avis. On ne consulte que les gens qui ont un avis. Les consommateurs ne sont pas stupides. Les marques doivent devenir plus humaines, moins institutionnelles. Les marques doivent vraiment se démarquer.»

Il paraît que le sentiment nostalgique est tellement fort qu'il y a des gens qui regrettent des temps qu'ils n'ont pas vécu eux-mêmes. Ce sont les exonostalgiques. Leur regret est souvent entretenu par des reconstitutions, permises par les technologies de la photographie, du cinéma, de la publicité, quelquefois par la technique du roman.

C'est souvent le cas de gens assez jeunes (disons la bonne trentaine) par exemple ceux qui ont vécu énormément dans les années 1980 alors qu'ils sont nés dans les années 1990... En 2022, je reçois à l'agence un livre écrit par un ancien jeune directeur artistique de l'agence et qui s'est lancé depuis dans l'illustration, Pierre Jungers. Le titre: Nostalgie synthétique. Un livre sur l'obsession de la culture des années 1980 chez sa génération, visionnant perpétuellement la décennie précédente grâce à Internet.

Ma fille Vega écoute Georges Moustaki, King Crimson, Dashiell Hedayat, Laurie Anderson, Neil Young... Les disques que j'adorais à son âge. En 2022, je vais voir avec elle Top Gun, elle a aimé que Tom réussisse sa mission, la chaleur du kérosène, le pilotage de la machine avion, les scènes de séduction filmées comme dans une pub... En ce moment l'utopie a du mal à se fixer dans le futur.

«Un écrivain fera de la publicité s'il en est capable.

C'est-à-dire s'il est doué de curiosité, d'appétit de vivre ; s'il ressent à la fois l'amour de ce qui est nouveau, la honte de sa propre routine, l'envie de connaître, l'aptitude à divulguer. Qu'en outre il possède un vocabulaire assez riche, et le voilà capable, en effet, de faire de la publicité.» Colette.

L'Europe

«L'Europe est un club de nations qui a renoncé au projet d'être un Empire» dit Peter Sloterdijk. Cela explique peut-être, entre autres raisons, qu'elle n'ait jamais eu d'identité claire, ne soit jamais devenue une marque.

Comment construire l'identité d'une marque qui n'a pas vocation à devenir par exemple quelque chose d'aussi simple et épique qu'un empire? Est-ce qu'on peut faire une marque attractive de quelque chose d'aussi complexe et anti-sexy qu'un club de nations? Le patron d'un grand quotidien, Européen convaincu, me disait il y a quelques années qu'il vendait deux fois moins les jours où il faisait sa une sur l'Europe. L'Europe reste un échec et un espoir. Elle existe mais elle n'a pas d'identité, elle en est fragilisée. Le combat de l'identité et de la marque s'appuie avant tout sur l'histoire, le projet, la vitalité économique : en 2000, l'Europe s'était donné comme ambition de « devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde.»

Sur le sujet, Google, Apple, Facebook, Amazon ne lui ont laissé aucune chance.

La guerre en Ukraine, la compétition mondiale autour de l'intelligence artificielle, l'hésitation planétaire entre les populismes et les progressismes sont des moments cruciaux où la marque Europe pourrait redorer son blason.

La possibilité d'un PPT

La possibilité d'un PPT

Par Emmanuel Quéré