Planneur Romantique #53

La possibilité d'un PPT : Aurélien Bellanger - Les derniers jours du Parti Socialiste

La possibilité d'un PPT
4 min ⋅ 07/10/2024

C’est quoi l’idée ?

Celui qui lit, aura vécu 5000 ans ; la lecture est une immortalité en sens inverse ; la littérature et la vie c’est pareil. Le métier de planneur stratégique en agence de publicité consiste à connaître les gens ; à vivre d’autres vies que la sienne.

Je suis payé pour vendre des idées, souvent celles des autres, la forme étant le fond qui remonte à la surface elles doivent être bien troussées et présentées non pas comme une découverte mais comme la redécouverte de celles d’illustres individus avant nous.

Rien n’est de moi dans les lignes précédentes, lire sert à ça, à copier et à coller.
Avant, il faut collecter et c’est ce que je fais, chaque lundi à 13h45 dans cette newsletter ; pour mieux les retrouver au besoin.


Père ManQ, raconte-nous une histoire.

L’ouvrage que vous avez entre les mains relève ainsi de l’histoire contrefactuelle. Si le lecteur retrouve ou croit reconnaître, cependant, certaines personnes réelles, il devra se résoudre à les traiter comme les protagonistes d’une histoire parallèle.

Bellanger s'inscrit dans le genre de l’histoire contrefactuelle. Chacun de ses romans propose une version, crédible jusqu’à preuve du contraire, de moments de la vie publique française ou de biographies de personnages importants, souvent les deux à la fois. Je recommande à tout le monde La Théorie de l’information, que Seb m’a fait découvrir (je l’en remercie), et qui propose une biographie, contrefactuelle donc, de la vie de Xavier Niel.

Lors de la promotion de sa biographie officielle, qui sort en ce moment, je l’ai entendu faire tout un pataquès sur l’envie d’entreprendre qu’il avait chevillée au corps depuis toujours. Bellanger propose, lui, en 2012, plus modestement, le récit d’une réussite reposant sur le fait qu’il avait créé le Minitel rose (l’origine de sa fortune) parce qu’il était un petit homme mal fichu et solitaire, qui avait du mal à pécho.

Après Xavier Niel dans La Théorie de l’information, il s’attaque à Francis Bouygues dans L'Aménagement du territoire (si vous n’aimez pas, je vous rembourse), à BHL dans Le Continent de la Douceur (bien, mais pas ouf), à Patrick Buisson dans Le Grand Paris (très bien), à Arthur et Stéphane Courbit dans Téléréalité (je conseille aussi) et puis, par hubris, s’attaque au XXe siècle et à la figure complexe de Walter Benjamin, avec laquelle il rame méchamment.

Ici, les acteurs centraux sont les membres du Printemps républicain, ces socialistes ultra-laïcs, Raphaël Enthoven et Michel Onfray.

Sa thèse, puisqu’il s’agit d’un roman à thèse, c’est qu'un petit groupe de journalistes, de philosophes et d’apparatchiks socialistes en déshérence, réunis autour de Charlie-Hebdo, de Franc-Tireur et du Printemps Républicain auraient peu à peu gagné en influence dans les années 2010 au point d’imposer une version de la laïcité qui menacerait les musulmans du pays.

Ce que j’aime chez Bellanger, c’est sa culture "wikipédiesque". Comme pour un Eco, on passe notre temps à vérifier les faits croustillants qui y sont balancés (mais toujours un peu déguisés). On y apprend, par exemple, que Jean-Paul Sartre, qui n’avait pas d’enfants, possédait chez lui une chambre d’enfant cachée et remplie de poupées. J’ai dû passer par ChatGPT pour mener l’enquête.

Comme souvent, pour aller plus loin, je vous invite à écouter l’épisode de Signes des Temps qui lui est consacré.
Le livre est mieux que le précédent pas non plus incroyable.
Cette rentrée littéraire ne cesse de me décevoir.

Citations et idées remarquables

Il y avait rencontré le concept d’État profond — celui d’une alliance souterraine entre la haute administration et l’armée pour soustraire le trésor politique de la laïcité aux vicissitudes électorales.

Que du point de vue de la République, les Arabes n’existent même pas. Ne devraient pas exister, ajoute-t-il parfois. Voilà le véritable ressenti des classes populaires, et spécialement de celles qui ont délaissé une gauche n’évoquant plus, pour elles, qu’un vague catéchisme antiraciste.

Il considérait, fort de la redécouverte chez le grand écrivain antitotalitaire du concept de « décence commune » — à savoir un socle de valeurs que les désiderata d’émancipation des uns et des autres risquaient d’ébranler —,

oui, les Français étaient d’assez médiocres, d’assez jalouses créatures, mais leurs petitesses cumulées faisaient la grandeur de la France.

morne apocalypse.

« J’ai été très marqué, il y a quelques années, par l’histoire de cette automobiliste qui avait renversé un enfant et qui, plutôt que de s’arrêter, avait continué à rouler sur plusieurs kilomètres avec son terrible trophée planté en travers de son pare-brise et lui faisant face. Qu’attendait notre automobiliste ? Probablement que le gamin ressuscite. Elle ne se voyait pas s’arrêter avant que le miracle se produise. On est évidemment consterné par sa bêtise et son imprudence. Je crois cependant que nous sommes tous comme elle, à attendre qu’un miracle se produise à travers le pare-brise bien fragile de nos certitudes personnelles. Seuls les très grands mystiques n’attendent aucun miracle. »

« Car le culte nu de la réalité ne doit pas nous dissimuler ce fait obsédant et massif, que le vieux Leibniz a charitablement dissimulé derrière sa théorie des mondes possibles, que le réel est plus grand que la réalité — bien plus effrayant qu’elle. »

« Il y a plus de grandeur à accepter le monde qu’à le créer »,

il aimait citer cette phrase de Chesterton selon laquelle « la force de la démocratie c’est de remettre les plus grandes décisions entre les mains de l’homme le plus ordinaire ».

Cela se passait de commentaires. Sinon celui-ci, emprunté à Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »

« On dirait du Stéphane Bern radicalisé », résuma-t-il le soir même à son épouse.

la bataille contre ce « djihadisme d’atmosphère »

C’était un président « d’extrême droite moins une », un président qui serait probablement le marchepied de celle-ci.

Il pensait à l’entretien d’Ulrich avec l’empereur, au début de L’Homme sans qualités : ainsi le pouvoir ce n’était que cela, quelques gardes à l’entrée, des hommes costumés à l’intérieur et le consentement surnaturel d’un peuple à ce conte de fées.

La possibilité d'un PPT

La possibilité d'un PPT

Par Emmanuel Quéré