Planneur Romantique #61

La possibilité d'un PPT : Proust, Marcel. A l'ombre des jeunes filles en fleurs - Parties 1&2

La possibilité d'un PPT
9 min ⋅ 02/12/2024

C’est quoi l’idée ?

Celui qui lit, aura vécu 5000 ans ; la lecture est une immortalité en sens inverse ; la littérature et la vie c’est pareil. Le métier de planneur stratégique en agence de publicité consiste à connaître les gens ; à vivre d’autres vies que la sienne.

Je suis payé pour vendre des idées, souvent celles des autres, la forme étant le fond qui remonte à la surface elles doivent être bien troussées et présentées non pas comme une découverte mais comme la redécouverte de celles d’illustres individus avant nous.

Rien n’est de moi dans les lignes précédentes, lire sert à ça, à copier et à coller.
Avant, il faut collecter et c’est ce que je fais, chaque lundi à 13h45 dans cette newsletter ; pour mieux les retrouver au besoin.


Père ManQ, raconte-nous une histoire.

Suite du cycle La Recherche avec le second tome, Goncourt 1917.
Peut-être le plus connu, le plus riche.
La vérité y est définitivement faite sur le sentiment amoureux et celui de l’amitié (vous ne trouverez pas plus belles définitions de ces affects).

Quand on aime l’amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l’arrête, le force à revenir vers son point de départ; et c’est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l’autre et qui nous charme plus qu’à l’aller, parce que nous ne connaissons pas qu’elle vient de nous.

Je me sentais capable d’exercer les vertus de l’amitié mieux que beaucoup (parce que je ferais toujours passer le bien de mes amis avant ces intérêts personnels auxquels d’autres sont attachés et qui ne comptaient pas pour moi) mais non pas de connaître la joie par un sentiment qui, au lieu d’accroître les différences qu’il y avait entre mon âme et celles des autres — comme il y en a entre les âmes de chacun de nous — les effacerait.

Quelquefois je me reprochais de prendre ainsi plaisir à considérer mon ami comme une oeuvre d’art, c’est-à-dire à regarder le jeu de toutes les parties de son être comme harmonieusement réglé par une idée générale à laquelle elles étaient suspendues


Si les notions d’amour et d’amitié sont expédiés en deux, trois aphorismes; toute la Recherche n’est qu’une tentative de définition de la notion de temps. C’est vertigineux.

Nos désirs vont s’interférant, et dans la confusion de l’existence, il est rare qu’un bonheur vienne justement se poser sur le désir qui l’avait réclamé.

Qu’on pense encore aux touristes qu’exalte la beauté d’ensemble d’un voyage dont jour par jour ils n’ont éprouvé que de l’ennui.

Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique; les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent et l’habitude le remplit.

C’est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l’odeur de renfermé d’une chambre ou dans l’odeur d’une première flambée, partout où nous retrouvons de nous-même ce que notre intelligence, n’en ayant pas l’emploi, avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure, celle qui quand toutes nos larmes semblent taries, sait nous faire pleurer encore. Hors de nous? En nous pour mieux dire, mais dérobée à nos propres regards, dans un oubli plus ou moins prolongé.

C’est notre attention qui met des objets dans une chambre, et l’habitude qui les en retire, et nous y fait de la place.

Il y a plein d’idées sur l’intelligence, les affects ou l’art - sur le fond comme la forme - qui synthétisent en deux trois phrases, donc deux trois pages, ce que Spinoza, les sages orientaux ou Walter Benjamin pour la photographie, ont mis toute leur vie à écrire.

Je voulais évoquer dans cette intro le fait que Denzel Washington lisait Proust dans Equalizer 2 et que l’agence Havas y est mentionnée (voilà un truc que Publicis ne nous prendra jamais, ha! ) mais le temps manque pour aborder des sujets si importants.


Citations et idées remarquables.

ce qui rapproche, ce n’est pas la communauté des opinions, c’est la consanguinité des esprits.

M. de Norpois était un répertoire si complet des formes surannées du langage particulières à une carrière, à une classe, et à un temps — un temps qui, pour cette carrière et cette classe-là, pourrait bien ne pas être tout à fait aboli — que je regrette parfois de n’avoir pas retenu purement et simplement les propos que je lui ai entendu tenir. J’aurais ainsi obtenu un effet de démodé, à aussi bon compte et de la même façon que cet acteur du Palais-Royal à qui on demandait où il pouvait trouver ses surprenants chapeaux et qui répondait: «Je ne trouve pas mes chapeaux. Je les garde.»

les «quoique» sont toujours des «parce que» méconnus,

— ce que je demandais à cette matinée, c’était tout autre chose qu’un plaisir: des vérités appartenant à un monde plus réel que celui où je vivais, et desquelles l’acquisition une fois faite ne pourrait pas m’être enlevée par des incidents insignifiants, fussent-ils douloureux à mon corps, de mon oiseuse existence.

théâtre et public n’étant pour elle qu’un second vêtement plus extérieur dans lequel elle entrerait et le milieu plus ou moins bon conducteur que son talent aurait à traverser.

On apprend la victoire, ou après coup quand la guerre est finie, ou tout de suite par la joie du concierge.

Tout ce qui est d’un même temps se ressemble; les artistes qui illustrent les poèmes d’une époque sont les mêmes que font travailler pour elles les Sociétés financières.

«La Victoire est à celui des deux adversaires qui sait souffrir un quart d’heure de plus que l’autre, comme disent les Japonais.»

qu’on pense encore aux touristes qu’exalte la beauté d’ensemble d’un voyage dont jour par jour ils n’ont éprouvé que de l’ennui,

Nos désirs vont s’interférant, et dans la confusion de l’existence, il est rare qu’un bonheur vienne justement se poser sur le désir qui l’avait réclamé.

quand nous n’aimons pas, nous immobilisons. Le modèle chéri, au contraire, bouge; on n’en a jamais que des photographies manquées.

la générosité n’est souvent que l’aspect intérieur que prennent nos sentiments égoïstes

Mon imagination n’était pas capable d’aller jusqu’au temps lointain où je pourrais avoir l’idée de me coucher et le besoin du sommeil.

J’admirais l’impuissance de l’esprit, du raisonnement et du coeur à opérer la moindre conversion, à résoudre une seule de ces difficultés, qu’ensuite la vie, sans qu’on sache seulement comment elle s’y est prise, dénoue si aisément.

Les expressions que nous avons récemment empruntées aux autres étant celles, au moins pendant un temps, dont nous aimons le plus à nous servir,

Mais avec la naïveté des gens du monde, du moment qu’on la recevait, on s’ingéniait à la trouver agréable, faute de pouvoir se dire que c’est parce qu’on l’avait trouvée agréable qu’on la recevait.

que chaque fois que la société est momentanément immobile, ceux qui y vivent s’imaginent qu’aucun changement n’aura plus lieu, de même qu’ayant vu commencer le téléphone, ils ne veulent pas croire à l’aéroplane.

Aucune Agence Havas n’ayant renseigné les cousines de Swann sur les gens qu’il fréquentait,

Si l’on n’avait vraiment, comme on l’a cru, rien distingué à la première audition, la deuxième, la troisième seraient autant de premières,

Mais, moins décevants que la vie, ces grands chefs-d’oeuvre ne commencent pas par nous donner ce qu’ils ont de meilleur. Dans la Sonate de Vinteuil, les beautés qu’on découvre le plus tôt sont aussi celles dont on se fatigue le plus vite et pour la même raison sans doute, qui est qu’elles diffèrent moins de ce qu’on connaissait déjà.

(nos sens ne possédant pas beaucoup plus le don de la ressemblance que l’imagination, si bien que les dessins enfin approximatifs qu’on peut obtenir de la réalité sont au moins aussi différents du monde vu que celui-ci l’était du monde imaginé).

je me demandais si l’originalité prouve vraiment que les grands écrivains soient des dieux régnant chacun dans un royaume qui n’est qu’à lui, ou bien s’il n’y a pas dans tout cela un peu de feinte, si les différences entre les oeuvres ne seraient pas le résultat du travail, plutôt que l’expression d’une différence radicale d’essence entre les diverses personnalités.

le génie consistant dans le pouvoir réfléchissant et non dans la qualité intrinsèque du spectacle reflété.

l’habitude fait aussi bien le style de l’écrivain que le caractère de l’homme,

Une idée forte communique un peu de sa force au contradicteur. Participant à la valeur universelle des esprits, elle s’insère, se greffe en l’esprit de celui qu’elle réfute, au milieu d’idées adjacentes, à l’aide desquelles, reprenant quelque avantage, il la complète, la rectifie; si bien que la sentence finale est en quelque sorte l’oeuvre des deux personnes qui discutaient.

C’est aux idées qui ne sont pas, à proprement parler, des idées, aux idées qui, ne tenant à rien, ne trouvent aucun point d’appui, aucun rameau fraternel dans l’esprit de l’adversaire, que celui-ci, aux prises avec le pur vide, ne trouve rien à répondre. Les arguments de M. de Norpois (en matière d’art) étaient sans réplique parce qu’ils étaient sans réalité.

Car mon intelligence devait être une, et peut-être même n’en existe-t-il qu’une seule dont tout le monde est co-locataire, une intelligence sur laquelle chacun, du fond de son corps particulier, porte ses regards, comme au théâtre, où si chacun a sa place, en revanche, il n’y a qu’une seule scène.

Ce n’est jamais qu’à cause d’un état d’esprit qui n’est pas destiné à durer qu’on prend des résolutions définitives.

Du calme, ll ne peut pas y en avoir dans l’amour, puisque ce qu’on a obtenu n’est jamais qu’un nouveau point de départ pour désirer davantage.

C’est, dans l’amour, un état anormal, capable de donner tout de suite, à l’accident le plus simple en apparence et qui peut toujours survenir, une gravité que par lui-même cet accident ne comporterait pas. Ce qui rend si heureux, c’est la présence dans le coeur de quelque chose d’instable, qu’on s’arrange perpétuellement à maintenir et dont on ne s’aperçoit presque plus tant qu’il n’est pas déplacé.

parce que je croyais que ma souffrance ne durerait pas, j’étais obligé pour ainsi dire de la renouveler sans cesse.

Nous sommes tous obligés, pour rendre la réalité supportable, d’entretenir en nous quelques petites folies.

Mais certains rôles favoris sont par nous joués tant de fois devant le monde, et ressassés en nous-mêmes, que nous nous référons plus aisément à leur témoignage fictif qu’à celui d’une réalité presque complètement oubliée.

Un des effets de cette indulgence est d’aggraver la tendance qu’à partir d’un certain âge on a à trouver agréables les paroles qui sont un hommage à notre propre tour d’esprit, à nos penchants, un encouragement à nous y livrer; cet âge-là est celui où un grand artiste préfère à la société de génies originaux celle d’élèves qui n’ont en commun avec lui que la lettre de sa doctrine et par qui il est encensé, écouté;

D’ailleurs nos contemporaines veulent absolument du nouveau, n’en fût-il plus au monde.

Quand on aime l’amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l’arrête, le force à revenir vers son point de départ; et c’est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l’autre et qui nous charme plus qu’à l’aller, parce que nous ne connaissons pas qu’elle vient de nous.

Mon amour, ma souffrance, où en pleurant j’essayais de saisir justement ce qu’était Gilberte, et desquels il me fallait reconnaître qu’ils ne lui appartenaient pas spécialement et seraient, tôt ou tard, le lot de telle ou telle femme.

Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique; les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent et l’habitude le remplit.

La vérité qu’on met dans les mots ne se fraye pas son chemin directement, n’est pas douée d’une évidence irrésistible. Il faut qu’assez de temps passe pour qu’une vérité de même ordre ait pu se former en eux.

Car le regret comme le désir ne cherche pas à s’analyser, mais à se satisfaire;

La résignation, modalité de l’habitude, permet à certaines forces de s’accroître indéfiniment.

Ainsi un même fait porte des rameaux opposites et le malheur qu’il engendre annule le bonheur qu’il avait causé.

On devient moral dès qu’on est malheureux.

L’accident vient du côté auquel on ne songeait pas, du dedans, du coeur.

C’est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l’odeur de renfermé d’une chambre ou dans l’odeur d’une première flambée, partout où nous retrouvons de nous-même ce que notre intelligence, n’en ayant pas l’emploi, avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure, celle qui quand toutes nos larmes semblent taries, sait nous faire pleurer encore. Hors de nous? En nous pour mieux dire, mais dérobée à nos propres regards, dans un oubli plus ou moins prolongé.

ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes.

Je me rendis compte à Balbec que c’est de la même façon que lui, qu’elle nous présente les choses, dans l’ordre de nos perceptions, au lieu de les expliquer d’abord par leur cause.

C’est d’ordinaire avec notre être réduit au minimum que nous vivons, la plupart de nos facultés restent endormies parce qu’elles se reposent sur l’habitude qui sait ce qu’il y a à faire et n’a pas besoin d’elles.

C’est notre attention qui met des objets dans une chambre, et l’habitude qui les en retire, et nous y fait de la place.

Comment aurais-je pu croire à une communauté d’origine entre deux noms qui étaient entrés en moi l’un par la porte basse et honteuse de l’expérience, l’autre par la porte d’or de l’imagination?

s’il n’y avait pas l’habitude, la vie devrait paraître délicieuse à des êtres qui seraient à chaque heure menacés de mourir — c’est-à-dire à tous les hommes.

La caractéristique de l’âge ridicule que je traversais — âge nullement ingrat, très fécond — est qu’on n’y consulte pas l’intelligence et que les moindres attributs des êtres semblent faire partie indivisible de leur personnalité. Tout entouré de monstres et de dieux, on ne connaît guère le calme. Il n’y a presque pas un des gestes qu’on a faits alors qu’on ne voudrait plus tard pouvoir abolir.

Plus tard on voit les choses d’une façon plus pratique, en pleine conformité avec le reste de la société, mais l’adolescence est le seul temps où l’on ait appris quelque chose.

Or, le naturel — sans doute parce que, sous l’art de l’homme, il laisse sentir la nature — était la qualité que ma grand’mère préférait à toutes,

Mais je me disais qu’on n’est pas intelligent que pour soi-même, que les plus grands ont désiré d’être appréciés, que je ne pouvais pas considérer comme perdues des heures où j’avais bâti une haute idée de moi dans l’esprit de mon ami,

Je me sentais capable d’exercer les vertus de l’amitié mieux que beaucoup (parce que je ferais toujours passer le bien de mes amis avant ces intérêts personnels auxquels d’autres sont attachés et qui ne comptaient pas pour moi) mais non pas de connaître la joie par un sentiment qui, au lieu d’accroître les différences qu’il y avait entre mon âme et celles des autres — comme il y en a entre les âmes de chacun de nous — les effacerait.

Quelquefois je me reprochais de prendre ainsi plaisir à considérer mon ami comme une oeuvre d’art, c’est-à-dire à regarder le jeu de toutes les parties de son être comme harmonieusement réglé par une idée générale à laquelle elles étaient suspendues

Quelquefois je me reprochais de prendre ainsi plaisir à considérer mon ami comme une oeuvre d’art, c’est-à-dire à regarder le jeu de toutes les parties de son être comme harmonieusement réglé par une idée générale à laquelle elles étaient suspendues

Mais la variété des défauts n’est pas moins admirable que la similitude des vertus. Chacun a tellement les siens que pour continuer à l’aimer, nous sommes obligés de n’en pas tenir compte et de les négliger en faveur du reste.

On devrait, au moins, par prudence, ne jamais parler de soi, parce que c’est un sujet où on peut être sûr que la vue des autres et la nôtre propre ne concordent jamais.

Et à la mauvaise habitude de parler de soi et de ses défauts il faut ajouter, comme faisant bloc avec elle, cette autre de dénoncer chez les autres des défauts précisément analogues à ceux qu’on a. Or, c’est toujours de ces défauts-là qu’on parle, comme si c’était une manière de parler de soi, détournée, et qui joint au plaisir de s’absoudre celui d’avouer. D’ailleurs il semble que notre attention toujours attirée sur ce qui nous caractérise le remarque plus que toute autre chose chez les autres.

Saint-Loup appartenait, en effet, à ce genre de jeunes gens du monde, situés à une altitude où on a pu faire pousser ces expressions: «Ce qu’il y a même d’assez gentil chez lui, son côté assez gentil»,

c’est que la véritable élégance est moins loin de la simplicité que la fausse;

je compris que ce n’est pas en la lui demandant qu’on apprend la vérité sur l’intention qu’un homme a eue et que le risque d’un malentendu qui passera probablement inaperçu est moindre que celui d’une naïve insistance:

«Cette séparation me fait une douleur à l’âme que je sens comme un mal du corps. Dans l’absence on est libéral des heures. On avance dans un temps auquel on aspire.»

La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque quand elle cesse d’être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n’existent plus.

la plus grande des sottises, c’est de trouver ridicules ou blâmables les sentiments qu’on n’éprouve pas.

Je m’efforce de tout comprendre et je me garde de rien condamner.

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Par Emmanuel Quéré